Lex Google : France, you’re doing it wrong

C’est un bras de fer fort tendu qui se joue-là. La presse française va mal, elle cherche désespérément de l’oxygène. Soutenue par le gouvernement, elle s’attaque à Google, ce monstre des Amériques assis sur une mine d’or. Le motif ? Un partage de ses revenus prétendument inéquitable, une injustice à réparer. Mais quand on y regarde de plus près, on voit tout autre chose : une mourante, désespérée, rançonne lâchement Google.La presse française est en manque d’argent ! Que faire ? Rançonner Google.

Un dragon venu des Amériques

Tout commence en cette rentrée 2012. La presse européenne se réveille et entend son estomac crier famine. Comme chaque année, toujours davantage. Son modèle économique se fait vieux ! Ses journaux se vendent de moins en moins bien et elle peine à générer des revenus sur Internet. Peu d’internautes s’abonnent aux formules payantes et la publicité ne suffit plus. Mais que faire ? Où trouver des revenus ?

Il se trouve qu’en Europe, comme dans le monde entier, un monstre né dans les profondeurs de la Silicon Valley génère des lingots d’or par milliers. Ce démon machiavélique ose indexer des articles dans son moteur de recherche et afficher de la publicité dans les résultats qu’il retourne pour se rémunérer. Un crime ! Pourquoi ne pas se financer chez lui ? La tentation est forte. Cette créature mythique, Google, fait 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires rien qu’en France. C’est décidé, il faut faire payer le dragon.

La sainte presse en croisade contre le dragon venu des Amériques
 

 

Le début d’une croisade…

De quoi s’agit-il exactement ? Les éditeurs de presse réclament la création d’un droit voisin, c’est-à-dire d’une extension du droit d’auteur destinée aux articles de presse. Naturellement, ces articles sont déjà protégés par le code de la propriété intellectuelle, mais qu’importe, ce n’est plus suffisant. La presse a faim. Ce droit voisin forcerait Google à rémunérer les sites d’information pour pouvoir les référencer.

La bataille commence en Allemagne, où le gouvernement annonce un projet de loi pour faire payer Google ; il devrait être débattu ce mois-ci au Bundestag. En Italie, les mêmes pressions s’exercent. Et en France, c’est l’association de la presse d’information politique et générale (IPG), créée pour l’occasion, qui propose au gouvernement sa lex Google.

On connaît la suite. Les menaces de déréférencement de Google qui refuse de payer pour l’indexation de contenus. Les tribunes passionnées, notamment celle de Laurent Joffrin, rédacteur en chef du Nouvel Observateur, et ses accusations virulentes de censure. Et enfin le passage à l’Élysée d’Eric Schmidt, le PDG de Google, pendant lequel on lui rappelle gentiment qu’il vaudrait mieux coopérer s’il veut éviter un redressement fiscal.

Au sommet, on négocie une aberration
 

 

…pour une loi des Temps Anciens

Ce projet de loi empeste la mauvaise foi. La presse crie à l’injustice ? Il n’en est rien. Oui, la lucrative publicité de Google s’appuie sur les recherches des internautes, et donc sur les articles référencés. Non, ce n’est pas indécent, car ce sont les moteurs de recherche qui permettent aux sites d’être connus du monde entier. Que seraient-ils sans Google, qui envoie chaque année 4 milliards de visites à la presse mondiale ? A-t-on déjà vu un journal attaquer le kiosque qui le vend ou le facteur qui le distribue ? Et si le principe de l’indexation déplaît tant que ça à la presse, grand bien lui en fasse ! Tout webmaster sait qu’il est simple d’interdire aux robots des moteurs de recherche d’indexer un site. Un petit fichier à placer à la racine du site, voilà tout ce que cela coûte. Pourquoi ne pas l’utiliser ? Parce qu’elle sait que Google lui rapporte beaucoup.

Pour justifier une telle malhonnêteté, un seul moyen. Crier au partage inéquitable des revenus de Google. Faire passer l’Américain pour un ogre, c’est si facile. Si facile au pays de l’exception culturelle, toujours prompt à défendre son patrimoine. Pas étonnant que le gouvernement ait été sensible à l’appel de la presse, secteur sacré qu’il faut protéger de la modernité. Il lui cède comme il a cédé aux défenseurs du droit d’auteur, masque étincelant derrière lequel se cache une industrie vorace qui vit loin des artistes. Quelle est cette nouvelle extension du droit d’auteur ? Il est loin le temps des journalistes, des écrivains exploités par un monde cynique. Oubliée la lutte contre la misère de l’auteur, ce n’est plus qu’un cadavre qu’une usine brandit à la France au grand cœur. Un seul but désormais, pour ces groupes Arnault, Rothschild, ces Universal et ces Sony : étendre indéfiniment la portée du code de la propriété intellectuelle, breveter, et engranger davantage de revenus.

Et pour faire passer la pilule, pourquoi ne pas mélanger des problématiques absolument différentes, et invoquer comme Joffrin le fait, la fiscalité de Google ? On le sait, la tactique d’optimisation fiscale du groupe lui permet d’exercer son activité en France en ne s’acquittant quasiment pas d’impôts. Oui, il est injuste qu’il ne participe pas à un effort commun. Il est évident que cette stratégie doit être interdite et que de nouvelles règles doivent être édictées. Mais ce n’est pas le sujet. Quelle bassesse de la part du gouvernement de menacer Google d’un redressement si aucun accord n’est trouvé. S’il était plus épris de justice et écoutait moins le lobby de la presse, il aurait le courage de s’attaquer à la fiscalité des firmes transnationales et de refuser les exigences des éditeurs.

Mais puisque Moïse vous dit qu’il faut en finir avec cette loi !
 

 

Et si on entrait au XXIe siècle ?

Ce que ce projet de loi traduit vraiment, c’est la réluctance de la France entière à embrasser le numérique. La presse n’a pas compris le fonctionnement d’Internet. Elle n’a pas compris que les liens hypertexte, vers ses sites comme vers d’autres, constituent le socle fondateur de la toile. C’est ce partage de liens qui fait de Twitter une haute sphère de la vie politique, où citoyens, journalistes, associations, entreprises et institutions s’échangent des réflexions, des articles et débattent à longueur de journée. C’est sur cette culture du partage que la presse doit forger un nouveau modèle économique.

Je te vois, lecteur, et tu es bien sceptique. Tu te dis que je suis bien idéaliste, et qu’il faut bien financer la presse. Tu ne crois pas à cet avenir numérique que je te promets. Hé bien ! Regardez, journaux, et toi, lecteur, regarde, regarde ces pure players de la presse sur Internet, qui n’existent que virtuellement. C’est du côté de ces sites d’information qu’on trouve une dynamique positive. Ce sont eux qui parviennent à croître avec le Web. On les connaît bien, ces Rue89, Slate, Owni, Atlantico, Mediapart, et autres Contrepoints. Leurs tendances politiques sont diverses, mais tous innovent et testent de nouvelles formules. Aucun d’entre eux n’est possédé par Lagardère ou par Rothschild, ils sont indépendants. C’est de leur côté qu’il faut chercher la croissance, c’est de leur côté que la presse renaît. Seuls ces pure players, qui ont tout compris, ont le courage de s’opposer à cette injuste lex Google. Ils n’ont même pas été consultés par l’IPG qui ne représente que les mastodontes vieillissants de la presse.

Paris en 2020 si la France entrait enfin dans l’ère du numérique. Je vous le promets. Toute ressemblance avec la planète Coruscant est l’œuvre du hasard.
 

Si la France souhaite enfin entrer dans le XXIe siècle, retrouver la croissance et apprendre à innover, il lui faudra se défaire de certaines habitudes. Cette Lex Google ne saurait être qu’une injection de morphine à la presse agonisante, à moins qu’elle ne se réveille enfin et apprenne à connaître le numérique.


  1. Konrad dit :

    Rue89 appartient au Nouvel Observateur… Je ne pense pas que leur dire de s’en inspirer les aidera beaucoup.
    Le problème, c’est que ces business models fondés sur la gratuité et sur des sources alternatives de revenu (par exemple, la publicité) peuvent certes générer un revenu (et encore, il faut une audience gigantesque) mais cette source de revenu est beaucoup plus faible que dans le cas de la presse papier. Les seuls journaux en ligne qui marchent sont ceux qui sont {{uniquement}} en ligne, parce qu’ils n’ont pas à payer les coûts variables liés à la presse papier (production des journaux, logistique, etc.). La presse papier est vraiment dans une situation difficile et il est évident que la situation ne s’améliorera pas, parce qu’ils ne peuvent pas profiter d’internet aussi facilement que des compagnies indépendantes. On peut donc comprendre qu’ils essayent, comme ils le peuvent, de sauver leur fric. Bien sûr, la solution est stupide, mais il est évident que la situation de la presse papier est de pire en pire.

    1. Rastagong dit :

      Je me rends bien compte que c’est plus facile pour les « pure players » parce qu’ils ont beaucoup moins de coûts à assumer. Mes prédictions ne valent pas grand-chose, mais je pense que sur le très long terme, dans les pays développés, la presse papier devra devenir entièrement numérique pour survivre. C’est pas pour tout de suite, mais le déclin du papier me semble irréversible.
      La question, c’est : que faire pour le moment ? La laisser mourir à petit feu ? Non, évidemment. Les journaux représentent beaucoup d’emplois et jouent un rôle essentiel dans la démocratie. Faire payer Google ? C’est injuste et ce n’est pas une solution durable. La mettre sous perfusion publique ? C’est peut-être la moins mauvaise solution, mais c’est une sortie de crise par le bas : on ne fait que retarder l’inévitable, sans innover.
      Donc le mieux est d’investir davantage et plus intelligemment dans le numérique afin d’équilibrer les recettes avec celles du papier. Et il va falloir faire mieux qu’avoir un site en ligne. La publicité ne suffit plus et les abonnements n’attirent pas automatiquement les visiteurs, c’est clair. C’est pourquoi il faut expérimenter, offrir des contenus de qualité et adaptés au net. Et ce ne sont pas des paroles dans le vent ! C’est ce que font le Guardian et le New York Times. Le Guardian attire sur son site trois millions de visiteurs par jour grâce à un contenu de qualité, et le numérique représente déjà 30% des recettes. En monétisant cette audience, sa direction espère rééquilibrer les comptes ([source->http://www.guardian.co.uk/media-network/media-network-blog/2012/oct/12/guardian-ceo-outlines-digital-future]). Quant au New York Times, il est confronté aux limites de la publicité sur son site. Cependant, il a réussi, en un an, à développer un système d’abonnements qui génère déjà beaucoup de revenus, grâce à des contenus exclusifs et de qualité ([ [source->http://www.guardian.co.uk/technology/2012/apr/23/monday-note-nyt-paywalls]).
      Tu me diras qu’il s’agit de géants de la presse, qui peuvent profiter d’une clientèle mondiale et internationale. Tu me diras que ces modèles n’ont pas prouvé leur solidité sur le long terme. Mais il faut essayer ! Qu’a-t-on à perdre ?
      Note : on a exactement le même problème avec l’automobile : c’est une industrie sur le déclin, qui doit souvent faire appel à l’État. La subventionner en permanence ne résout rien. En revanche, l’encourager à développer des véhicules hybrides est une bien meilleure idée (c’est ce que fait le plan automobile de Montebourg). On devrait agir exactement de la même manière avec la presse.

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