LIMBO : Quand le jeu vidéo revendique une identité propre

LIMBO est un jeu assez court (trois-quatre heures au maximum pour le finir), développé par un studio indépendant danois appelé Playdead. Il s’agit d’un jeu simple dans sa réalisation, et qui se sépare d’une façon assez radicale de ce qui se fait en ce moment dans l’industrie vidéoludique. En effet, le jeu ne s’embarrasse pas des habituels composants annexes du jeu vidéo pour se concentrer sur son essence même : LIMBO est délibérément un jeu simple, et uniquement un jeu.LIMBO est un “petit jeu”, mais qui reste malgré tout un chef d’œuvre de l’industrie vidéoludique, et qui nous rappelle que le jeu vidéo n’est pas seulement une extension du cinéma, mais aussi un art indépendant.

Une exception sur le marché

Ces dernières années, nous avons vu le marché du jeu vidéo submergé par des jeux dont la conception se rapproche de plus en plus du cinéma : des scénarios complexes et détaillés, des personnages profonds, des musiques parfois dignes des plus grands chefs d’œuvre du septième art, des décors incroyables, des réalisations de plus en plus naturelles et précises, tant dans les cinématiques que dans les périodes de jeu. D’une certaine façon, l’essence même du jeu vidéo en est passée au second plan, tant le désir de reconnaissance était grand, et tant le modèle d’un art, lui aussi récent et né d’une révolution technologique, était tentant. Tant aussi était attirant le modèle d’un cinéma auquel on aurait ajouté encore une dimension, comme le « cinéma sensoriel » du Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley. Je ne blâme pas ces jeux dont certains sont vraiment des réussites dans leur genre, et je ne blâme pas non plus l’évolution logique du jeu vidéo et des studios. Mais il me semblait important de rappeler que le jeu vidéo n’est pas seulement une évolution du cinéma, qui permet à celui qui était un spectateur d’interférer avec l’histoire qu’il observe. C’est de cela que s’est chargé LIMBO.

Quand l’apparent dénuement sert le jeu

Pas de musique dans LIMBO, pas vraiment de scénario non plus, si ce n’est dans la brève présentation du jeu, pas de dialogues, pas de décors, pas de réalisation, des graphismes simples, pas même de couleurs… Pour avoir souvent utilisé ces aspects pour appuyer mon argumentaire sur le jeu vidéo, j’ai été surpris que malgré l’absence de tout ce qui en faisait pour moi un art, jamais un jeu ne m’avait autant confirmé dans mon opinion.

Pas de cinéma, le plan reste fixe, à la façon des anciens jeux de plateforme, à la limite peut-on percevoir de temps à autres un léger zoom, mais c’est tout : le personnage que vous dirigez reste tout au long du jeu au centre de l’écran. Vous ne le voyez pas vraiment d’ailleurs : comme tout dans le jeu, il apparait en ombres chinoises, tout noir, exception faite de ses yeux, qui brillent, et qui ne s’éteignent que lorsqu’il meurt. A l’image de ces yeux, seuls quelques rares détails semblent produire leur propre source de lumière dans ce monde sombre, tout de noir et de gris, un champignon, une larve, la toile d’une araignée… Ces éléments brillants occupent leur place, et leur présence ne fait que rappeler la constante obscurité, et les bords flous de votre champ de vision. Ce jeu d’ombres chinoises crée une ambiance, certes, mais il nous rappelle aussi que les graphismes ne doivent pas nécessairement être compliqués pour faire un bon jeu et que parfois, il faut savoir rester sobre, que la simplicité est possible dans le jeu vidéo, sans en altérer la qualité.

En ce qui concerne le gameplay, le jeu ne s’embarrasse pas de complications : les niveaux sont des puzzles qui s’enchainent sans la moindre coupure ni même lenteur. Le jeu est facile à prendre en main, notamment grâce à la simplicité de ses contrôles (les touches fléchées et Ctrl), ce qui le rend accessible à tous : joueurs confirmés comme amateurs les plus incultes.

Les influences externes

J’ai dit tout à l’heure que le jeu n’était pas en soi du cinéma, ce n’est pas tout à fait vrai : en fait, LIMBO se rapproche assez des premiers grands chefs d’œuvres du septième art. Par le noir et blanc, mais aussi par l’inspiration qu’il tire de ces œuvres, par exemple dans certains niveaux ou l’on saute d’engrenages en engrenages, dans le constant mouvement d’une machine qui dépasse de loin notre propre champ de vision, comment ne pas penser alors à la scène épique des Temps modernes, où Charlie Chaplin se perd dans les grands engrenages de l’industrialisation naissante ? Ou saisir une légère similitude de cette « ville souterraine », pleine de machines et de dangers, avec ses habitants sombres et muets, avec les étages inférieurs de la Métropolis de Fritz Lang ? On peut aussi se souvenir, en voyant l’arrière-plan grisâtre et délibérément séparé du premier plan de LIMBO, les premiers grands décors du cinéma, peints sur de grandes toiles, avant l’apparition des grands décors et des images de synthèse. On peut aussi y percevoir d’autres inspirations que cinématographiques : on peut retrouver dans ce jeu aussi un peu de Beckett, avec ses gris et ses longs silences, sa décadence de l’humanité, les gestes qui parlent plus qu’un langage usé et privé de son sens (comme cette enseigne « HOTEL », qui ne vous sert qu’à traverser un gouffre, sans que son sens ait la moindre importance, sans qu’elle ait même de sens). Les rares personnages que l’on croise restent loin, à peine visibles, sans parole, sans même tenter le moindre contact. On peut y percevoir aussi un peu d’Escher, les jeux de gravité, le monde qui tourne, rendant obsolète les notions de haut et de bas.

Mais si LIMBO s’inspire résolument du cinéma dans ses premières heures, où l’on pouvait, comme le jeu vidéo il y a encore quelques années, créer un film magnifique avec peu de moyens, uniquement avec de l’imagination et du talent, il s’en sépare malgré tout, en tentant de donner au jeu une identité propre. Cela se remarque d’abord à quelques détails : la vitesse d’abord. A l’opposé des vieux films dont je vous parlais tout à l’heure (ceux de Charlie Chaplin en particulier), où tout semblait aller un peu plus vite que dans la réalité, LIMBO présente une réalité un peu ralentie, au mouvement velouté et comme retenue : à l’image de cette araignée qui vous suit lentement, ou de votre propre personnage, légèrement courbé. Ce qui m’amène à mon deuxième point : LIMBO nous montre un monde déchu, où l’humanité a perdu sa place, et dans lequel elle n’a laissé que quelques ruines, entourées par la nature : alors que le cinéma nous montre le plus souvent un certain mouvement, une certaine avancée, LIMBO nous offre une version plus pessimiste, souvent coincée en un endroit pendant un long moment, souvent répétitive aussi, car il est souvent nécessaire de s’y prendre à plusieurs fois avant de réussir un niveau, et ce dans une sobriété et dans une simplicité sans artifices, dont feraient mieux de s’inspirer certains films comme le récent Mélancholia de Lars von Trier.

Un jeu qui reste original et complet

Mais on peut surtout y reconnaitre les grandes lignes du jeu vidéo en général ; j’ai parlé de la répétitivité des niveaux, on pourrait aussi parler de cette liberté contrôlée : si vous pouvez choisir ce que vous faites, le chemin est tout tracé, et il n’existe pas d’alternative, et cette idée de fatalité est accentuée par une petite larve lumineuse qui parfois se pose sur votre tête et détermine ainsi la direction que vous prenez, ne vous laissant le choix que de votre vitesse dans ce chemin que vous devez emprunter, que vous le vouliez ou non, par ces engrenages que vous ne pouvez pas ne pas suivre, par les niveaux où vous n’avez qu’une seule solution à trouver.

LIMBO ne cesse donc de nous rappeler que le jeu vidéo n’est pas seulement une autre « mise en scène » de la réalité, il donne bien une identité propre au jeu, sans pour autant renier les chefs d’œuvres du passé, que ce soit dans le cinéma, le théâtre ou la gravure, desquels il s’inspire, dont il livre une adaptation ; mais il ne s’agit pas d’une adaptation qui s’attache à ne rien modifier à l’histoire originelle (voir les jeux Harry Potter, par exemple), il s’agit bien d’une réécriture, avec laquelle le studio danois nous rappelle (et il fait bien), que le jeu vidéo n’est pas seulement une extension du cinéma, qu’il existe aussi pour lui-même, pour nous.


  1. uncle dolan dit :

    Cher critique de jeux vidéos,

    Tu as très bien su retranscrire la linéarité du jeu appelé Limbo, danois. Les lignes qui se succèdent, les mots à la suite des autres, fatalité, lecture horizontale, destin tragique. Les phrases vides de sens, absurdité existentielle, sont une habile référence au travail écrit du dramaturge Samuel Beckett, théâtre, cinq actes sur cette vie vide de sens, c’est une vie glorieuse qu’il nous faut, Gustave Flaubert. L’emploi de paragraphes n’a pas été sans me rappeler les meilleurs moments littéraires de Victor Hugo. Jamais autant je n’ai été confirmé dans. Mots noirs sur fond blanc, comment ne pas voir l’obscurité s’il n’y a pas de lumière.

    Je te conseillerais néanmoins d’ouvrir ton dictionnaire de Critique de Jeux Vidéos et d’y consulter les entrées “jeu indépendant”, “jeu de plate-formes” et “De l’inadéquation de comparer jeux vidéos 2D et cinéma muet, même quand les deux sont en noir et blanc”. Le dictionnaire, cette succession de pages, comment ne pas les tourner, déterminisme papier, libre arbitre vocabulaire.

    Regards,
    uNCLE DOLAN

    1. Mycridias dit :

      Coucou mon Oncle incarné ! J’aime beaucoup ton travail d’écriture ! C’est très joliment écrit, beaucoup mieux que ce rédacteur qui ne sait pas de quoi il parle. D’ailleurs, il faudrait le virer de l’association et te prendre à la place, qu’en penses tu ? Tu pourrais remplir notre site avec tes beaux poèmes et tes jolies références, après tout, geek ne rime-t-il pas avec poétique ?

      Bisous

      1. Aleskandra dit :

        Non mais il faudrait lui donner des gâteaux ça le rendrait gentil et on pourrait l’embaucher, ça pourrait être chouette.

    2. Macroscélide dit :

      Cher critique de critique de jeux vidéo.

      Je répondrais sur les trois points que tu as évoqués dans ton dernier paragraphe dans l’ordre :

      -Pour le jeu indépendant : il ne me semble pas en avoir parlé. Il s’agit d’un studio indépendant, ce qui n’est pas du tout la même chose. Playdead a été créé en 2006, emploie aujourd’hui 15 personnes et ne dépend pas, à ma connaissance, d’un autre grand studio, cependant, cette information reste à vérifier pour le temps durant lequel LIMBO a été développé (les profits du jeu lui ayant permis de se racheter pleinement d’investisseurs externes). Si j’ai fait une erreur sur ce point, je m’en excuse.
      -En ce qui concerne le jeu de plates-formes, je pense que même si on peut remarquer un certain nombre de différences avec un jeu de plates-formes type, la classification de LIMBO dans cette sous-catégorie est ici possible : même si la plate-forme elle-même disparait dans LIMBO au profit que quelque chose de plus lisse et de plus plein (ce n’est pas la première fois), le gameplay et la construction du jeu se placent bien dans l’optique du jeu de plates-formes : les différents pièges, l’avancée du jeu dans un monde qui, s’il est dépourvu de véritables ennemis qu’il serait possible de combattre dans d’autres jeux du genre, renferme un certain nombre de pièges qui correspondent tout-à-fait à la définition dont tu me parles. Il est cependant important de noter aussi que LIMBO n’est pas seulement un jeu de plates-formes, mais qu’il est aussi un jeu de réflexion où le joueur est forcé de résoudre des énigmes qui lui permettent de continuer le jeu.
      -En ce qui concerne la comparaison avec le cinéma dans ses débuts, tu as sans doute remarqué, si tu as lu l’article dans son ensemble, qu’il ne s’agissait pas du tout uniquement du noir et blanc : j’ai cité les films dont il me semblait que le jeu s’était inspiré, c’est un avis personnel qui me semble justifié. On peut remarquer des similitudes qui m’ont frappé lorsque j’ai joué au jeu (y as-tu joué ? je l’espère, sinon, tes commentaires sont totalement infondés et probablement créés dans l’unique but de te faire remarquer (je me répète, c’est le cas si tu n’as pas joué au jeu, sinon, ils ont toute raison d’être, quoi que je ne sois pas d’accord avec eux)). Nous sommes en droit de comparer ce que bon nous semble, et j’aimerai vraiment que tu m’explique en quoi il y a “inadéquation” à comparer LIMBO à du cinéma muet : j’ai expliqué mon point de vue, aie au moins la politesse d’expliquer le tien avant de te permettre ce genre de commentaires.

      Macroscélide

      PS : Utiliser des phrases alambiquées et prétentieuses en oubliant de respecter les bases mêmes de la syntaxe ne te ferons pas passer pour quelqu’un de plus intelligent que ce que tu ne l’es déjà, et donnent surtout l’impression que tu t’arranges pour que l’on ne comprenne pas ce que tu as à dire, probablement parce que justement, tu n’as rien à dire. Tu es donc prié de laisser de côté la poésie et de faire les commentaires que tu veux faire dans une forme correcte afin que les incultes que nous sommes puissions les comprendre. Merci.

    3. Float dit :

      Les gars c’est evident que Uncle Dolan est anglophone et ne parle pas un mot de Français. Il est clair qu’il a utilisé un outil de translation pour lire l’article et aussi pour rédiger son commentaire (Le “Regards” à la fin de son message est assez probant).
      Très bon article cependant ! Je trouvais au contraire le lien entre le film de Chaplin et Limbo intelligent.

  2. Aleskandra dit :

    Coucou sarcastique critique, moi aussi j’aime bien taper sur les gens et tu tombes à pic, soyons amis, ce serait fantastique. Bisous.

    1. Mycridias dit :

      … …riques, c’est fantastique !

      T’inquiète ça ira vite !

  3. lilytu dit :

    Jeu terminé. Merci pour cette découverte =)

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