Le mouvement brony
C’est l’une des communautés Internet les plus envahissantes qui aient jamais existé, au même titre que les fanbases de Sonic, Team Fortress 2 ou Minecraft. Mais c’est sans doute elle qui remporte la palme de la fanbase la plus insolite. Elle envahit les sites de jeux, de streaming façon YouTube, d’art, de musique, les forums en tout genre… et cela à vitesse grand V. Ces garçons, geeks jusqu’à la moelle, entre 15 et 35 ans, se regroupent avec leurs codes, leur vocabulaire et leurs lois. Ils n’ont qu’un objectif : conquérir le monde et lui faire aimer leur show préféré, qui est… My Little Pony Friendship Is Magic (Mon Petit Poney Les Amies c’est Magique chez les froggies). Bienvenue dans le monde des bronies.Ils sont partout, ont entre 15 et 35 ans, sont de sexe masculin… et leur show préféré est My Little Pony Friendship Is Magic. Description d’une communauté qui ne cesse de s’agrandir.
Tout un programme.
Remarque importante
Tout d’abord, je ne suis ni un brony, ni un hater (le mot qu’utilisent les bronies pour désigner les personnes n’aimant pas le dessin animé), et c’est une aubaine, tant les avis, d’un côté comme de l’autre, sont très tranchés et passionnés. Pourquoi ? Réponse ci-dessous…
Description de la licence et du show
Tout d’abord, qu’est ce que My Little Pony Friendship Is Magic ? Il s’agit du troisième dessin animé mettant en scène la licence My Little Pony (Mon Petit Poney chez nous). Avec Barbie, Mon Petit Poney est une licence phare pour les petites filles de 3 à 7 ans. La licence met en scène des poneys (!), de trois sortes (terrestres, licornes ou pégases) avec chacun leur spécificité, représentée par leur “cutie mark” sur la cuisse (une note de musique pour un pianiste, une loupe pour un détective, etc…) Un poney classique de la licence ressemblait alors à ça :
Le changement, c’était pas pour tout de suite.
Pour casser cette image vieillotte utilisée dans ses dessins animés et licences précédentes (les bronies utilisent pour ces poneys les termes péjoratifs de G1, G2 ou G3 (pour génération)), Hasbro, propriétaire de la licence, décide de changer complètement l’image des poneys. Leurs silhouettes deviennent plus élancées, leurs caractères bien plus marqués et leur image plus cartoon. Les poneys de la G4 sont nés, et ils n’auront pas leurs jouets, mais seront exclusifs à un dessin animé, qui deviendra MLP: FiM en 2010. Néanmoins, cette affirmation n’est plus tellement vraie, car devant le succès du show, Hasbro a décidé de réaliser à nouveaux des jouets, mais désormais, c’est le dessin animé qui primera sur eux et non l’inverse.
Le dessin animé est confié à Lauren Faust (repérée avec “Les Super Nanas”), qui décide de centrer l’histoire autour de six poneys en particulier, chacun avec un caractère bien trempé. Le dessin animé raconte l’histoire de Twilight Sparkle, licorne violette étudiante à Canterlot (notez la subtile référence…), capitale du Royaume d’Equestria dirigée par la princesse Célestia. Celle-ci demande à Twilight pour continuer ses études, de partir dans un petit bourg de campagne, Ponyville, pour y découvrir le secret de l’amitié. Sceptique, Twilight obéit quand même et part avec son assistant dragon Spike. Elle fera la connaissance de Fluttershy (pégase jaune très timide et folle des animaux), Applejack (poney orange fermière qui ne ment jamais), Rarity (licorne blanche fashion victim mais généreuse), Pinkie Pie (poney rose hyperactive qui fait rire ses semblables) et Rainbow Dash (pégase bleu fonçant à toute allure et loyale à ses principes). Elles vivront beaucoup d’aventures ensemble pour percer le secret de l’amitié, avec toujours une petite phrase de morale à la fin. Vous pouvez retrouver tous ces personnages sur la première image en vous référant à leur couleur, la princesse Célestia étant la licorne ailée blanche.
Spike. Il est également le facteur personnel de Twilight et livre ses lettres de morale à la fin de chaque épisode (Dear Princess Celestia…)
La naissance des bronies
Mais je ne suis pas venu pour vous raconter tout le show – ça ne serait pas intéressant pour vous (quoique…). La question que tout le monde se pose est : comment des garçons de 15 à 35 ans ont-ils pu aimer un dessin animé pour petites filles ?
Comme la plupart des mèmes et autres trucs bizarroïdes sur le net, le mouvement brony est parti de 4chan, célèbre forum américain, au début de l’année 2011. Il commence avec une discussion humoristique sur la qualité du dessin animé MLP: FiM. Mais, petit à petit, la discussion devient de plus en plus sérieuse, et certains intervenants commencent à “voir le potentiel” que renferme le show. Le mouvement se répand comme une tâche d’huile sur tout 4chan — et notamment sur /b/, la célèbre section “random”, où la plupart des adeptes du dessin animé polluent les autres sujets avec leurs poneys. Face à des protestations d’autres membres et au développement d’un mouvement anti-poney déclamant que MLP est devenu “le cancer d’Internet”, les modérateurs de 4chan décident de supprimer quelques sujets pollués par des disputes, puis face au redoublement des deux mouvements, ferment carrément les comptes des fans.
Exemple type d’une réaction bronie face au comportement de 4chan.
Les fans de MLP:FiM décident alors de créer leur propre “board”, site ressemblant à 4chan : Ponychan. Ils se donnent également un nom : les “bronies”, de “brother” et “ponies”. Quelques mois plus tard, les sites “Equestria Daily” et “My Little Brony” naissent et deviennent une référence brony. Les bronies décident alors de quitter au compte-goutte 4chan pour rejoindre ces nouveaux sites et propager le mouvement aux autres sites (reddit, YouTube, etc…). Le mouvement prend de l’ampleur.
Un mouvement incontournable
Aujourd’hui, quiconque connaît un peu Internet aura au moins une fois croisé un brony ou une vidéo avec une référence implicite ou explicite au show. Qu’on l’adore ou qu’on le déteste, My Little Pony ne laisse plus indifférent. Et surtout, il est partout. Sur les réseaux sociaux, les sites de partage, dans les forums, les mods de jeux vidéo, le cosplay : rien n’est épargné. Et c’est l’argument n°1 des anti-bronies dans leur guerre contre le show : son caractère incontrôlable et incontrôlé, qui n’arrive pas à se limiter à sa communauté et se sent obligé de “polluer” les autres en essayant de les “assimiler”. Cet argument peut être vrai pour quelques bronies extrémistes, mais la majorité d’entre eux ignore les critiques ou discute avec eux. Quoi qu’il en soit, il fut un temps ou il n’y avait pas de juste milieu : on adore ou on déteste, il fallait faire un choix. Aujourd’hui, alors que le show termine sa troisième saison, et que le mouvement est en phase de maturation, cet appel à la guerre s’est effrité au profit du dialogue.
Deux approches différentes de la “guerre”. Et comme vous pouvez voir dans la seconde image, les bronies ne manquent pas d’imagination pour répondre à leurs détracteurs (cliquez pour voir l’animation)
Et quel est l’argument n°1 des bronies ? Celui que j’ai retrouvé le plus souvent dans les paroles des fans est le même que celui qui a prévalu chez les fans d’Adventure Time, un autre show pour enfants datant de 2006 : parce que le show leur rappelle leur enfance. En effet, pour eux, les dessins animés actuels sont devenus débilitants et n’ont plus aucune imagination pour passionner. MLP : FiM et Adventure Time sont pour eux des shows rappelant l’aura des dessins animés des années 1980 et 1990 : pour MLP, il s’agit notamment du retour de la morale, et de la façon dont elle est exposée à travers des scénarii passionnants, une animation très bonne et des personnages attachants. Et cet engouement ne date pas des bronies : en effet, dès la sortie du dessin animé, et avant même l’émergence du mouvement, les critiques spécialisées avaient réalisé un accueil très favorable au show, pour les mêmes raisons.
Tout comme MLP : FiM, Adventure Time a reçu un accueil très favorable de la part d’Internet, à qui il rappelle la grandeur des dessins animés de la génération Y.
Un vieux de la vieille d’Internet a sûrement dû comparer au moins une fois le mouvement brony au mouvement furry (un mouvement plus ancien, des années 2000, rassemblant des personnes passionnées par les animaux anthropomorphiques), tant les deux mouvements se ressemblent, par leurs codes et leurs évolutions. En effet, les furries ont également connu un départ fulgurant ainsi qu’une fanbase bien ancrée, qui a connu sa maturation et perduré pendant de nombreuses années. Cependant, il connaît en ce moment un déclin, accentué par l’arrivée de My Little Pony. Y aurait-il eu des convertis ? Serait-ce à cause de l’image devenue désastreuse du mouvement, miné par les milliers d’images pornographiques qui ont fini par le stéréotyper ? Et surtout, est-ce que le mouvement brony va connaître le même déclin ? Pour le moment, non, car d’après les bronies, la saison 3 qui vient de se terminer prouve que le dessin animé n’a pas perdu de sa superbe.
Une image typique du mouvement furry. Sans en prendre tous les codes, le mouvement brony partage pour autant de grandes similarités avec ce mouvement.
Une imagination débordante et une création foisonnante
Le mouvement brony est le mouvement phare représentant aujourd’hui le pouvoir d’une licence sur le monde numérique, rien que par le travail que font les fans pour le show. Fanfictions, films ou dessins animés de fans, images et même jeux indépendants, leur imagination se décline sur tous les supports. Et ils rivalisent de camaraderie pour uploader les épisodes de MLP : FiM sur YouTube, se relayant lorsqu’un compte tombe sous la réclamation de copyright.
Prenons les fanfictions pour premier exemple. Et chez les bronies, deux sortent largement du lot pour leur popularité. La première est My Little Dashie, racontant l’histoire d’un homme qui trouve un jour devant sa maison une version bébé de Rainbow Dash, dont il va s’occuper pendant 15 longues années jusqu’à ce qu’elle rentre chez elle. C’est sans aucun doute la fanfiction la plus populaire et la plus appréciée des bronies, car même si l’écriture laisse parfois à désirer, le scénario est clair et émouvant : une véritable renaissance dans un genre tombant en désuétude. L’autre fanfiction est Cupcakes, dans un style totalement différent. Ici, c’est Pinkie Pie qui capture Rainbow Dash pour en faire l’instrument principal de ses prochains cupcakes… Un style résolument gore et noir, pour une fiction qui, même si elle est peu appréciée, est néanmoins très connue chez les bronies. Certains placent Cupcakes dans “la face noire du show”, avec les images pornographiques mettant en scène les poneys. Mais à part ces deux fanfictions, la création reste foisonnante, sans pour autant avoir tout le temps une qualité certaine.
My Little Dashie. Une fiction émouvante qui a réussi à relancer une pratique ridiculisée, la fanfiction.
Du côté des vidéos, il y a tellement de choix et de variétés qu’essayer de les lister est pratiquement impossible. Néanmoins, on peut trouver des types de vidéos sortant du lot. Dans beaucoup d’entre elles, on retrouve les bronies, dans la vie réelle, se mettant en scène avec les poneys du show. En voici un “>deuxième exemples.
PONY.MOV est autre célèbre série mettant en scène les poneys. Réalisée par Max Gilardi (HotDiggedyDemon), cette série met en scène les six principaux poneys sous un angle… disons… très spécial. Même si on n’est pas dans la catégorie NSFW, on s’en rapproche parfois tellement la série est barrée et déjantée, dont voici le premier épisode. Âmes sensibles ou trop sérieuses, s’abstenir. Cette série est tellement populaire qu’elle a donné lieu à ses propres mèmes !
Et bien entendu, il y a également une fournée d’autres types de vidéos ou d’autres moyens d’expression des bronies. Mais l’une d’elles est si particulière et tellement employée (si ce n’est pas la plus employée), qu’elle doit à mon sens faire l’objet d’une rubrique à part entière.
La ponification : l’exemple le plus flagrant du caractère envahissant du mouvement
Vous connaissez la rule 34 (if this exists, there is porn of it) et la rule 34-1 (if porn of it doesn’t exist, it will be made soon). Hé bien, la rule 34-2 (parfois appelée également rule 85) a été officiellement adoptée par les Anonymous comme “There is a pony of it. No exceptions.” La ponification est en effet une des marques de fabrique du mouvement brony. Elle tire ses racines de la Kirbyfication (Kirby prenant les pouvoirs de ce qu’il avale) et de la Pokéfication (mettre n’importe quoi en Pokémon). Mais son étendue est bien plus spectaculaire. Des mangas aux émissions sur le Net, les bronies adorent mettre en scène leur personnages préférés sous formes de poneys. Voici un florilège (cliquez pour agrandir).
It’s-a-me.
Le Nyan Cat. (animé !)
Un meme de The Elder Scrolls V: Skyrim.
La meilleure façon pour un brony de troller, c’est de ponifier Eduard Khil.
Phoenix Wright, de la licence Ace Attorney.
Pokémon, et en particulier son dessin animé.
Mon dernier article. Ah, aussi, c’est une ponification qui est aussi une Kirbyfication. Une metaponification, en quelque sorte.
Non… vraiment ? Aussi l’homme de Vitruve ? (retenez bien le poney sur cette photo, nous en reparlons maintenant.
La réponse des créateurs
Bien entendu, ce mouvement spectaculaire n’aura pas laissé les créateurs de la série indifférents (Hasbro non compté, on verra plus tard pourquoi). Lauren Faust, en particulier, a avoué être d’abord dépassée par le mouvement. Son compte DeviantArt où elle dessine des projets sans rapport au show a été littéralement envahi par des bronies dès le départ du mouvement. Elle utilisera ensuite ce compte pour vendre aux enchères des originaux du show pour remettre l’argent à des associations caritatives. Ce geste contribuera encore plus à la popularité des créateurs du dessin animé.
Quant aux acteurs, eux aussi bénéficient (?) d’une popularité forte, avec des comptes YouTube et Twitters très suivis et des participations aux évènements bronies d’envergure mondiale comme la BronyCon de New York. Quant à la chaîne Hub, qui diffuse le show aux Etats-Unis, elle semble également avoir un avis favorable sur les bronies, en faisant des références à My Little Pony dans des publicités pour Transformers (!), ou même en faisant une parodie de California Girls avec les voix originales !
Un original signé Lauren Faust, vendu plus de 2000$ aux enchères pour une association caritative pour l’Asie.
Le poney ci-dessus, en particulier, aura connu un destin exceptionnel. Il s’agit de Derpy Hooves, ou plutôt d’un poney au nom indéterminé (à un moment, on le référence sous le nom de Ditzy Doo) renommé ainsi par les fans. A l’origine, il s’agissait d’un poney classique dans une foule, mais un dessinateur maladroit (ou facétieux) l’a malencontreusement fait loucher ! A un autre moment de l’épisode, on la revoit prononçant son unique phrase : “Muffins.” Cela suffit pour déchaîner l’imagination des fans qui en font le porte étendard du mouvement brony. Derpy aura un strabisme marqué, adorera les muffins et sera factrice. Face à cet enthousiasme, les créateurs du show ont décidé de placer dans plusieurs épisodes des caméos de Derpy, apparaissant pendant une seconde ou deux avec ou sans son strabisme. Plus tard encore, ils lui offrent même un rôle à part entière dans un épisode. Pourtant, l’histoire ne se terminera pas de manière forcément heureuse (voir plus bas).
Lauren Faust est également connue de ses fans pour ses références qu’elle plaçait déjà dans les Super Nanas. Dans MLP: FiM, on en retrouve encore beaucoup, qui sont acclamées par les bronies. En voici quelques unes (cliquez pour agrandir).
Doctor Whooves, qui a eu la même popularité que Derpy auprès des fans. Dans un épisode, on le voit actionner un sablier. Ça en dit long.
Le Doc de Retour vers le Futur. On ne l’entend malheureusement pas dire “Nom de Zeus”…
Sans doute l’apparition la plus remarquée : The Big Lebowski, film préféré de Lauren Faust, lorsque les poneys se retrouvent dans un… bowling.
Un impact non négligeable dans le monde réel
In the real world, les bronies sont souvent vus avec incompréhension, moqueries ou amusement. Mais généralement, les bronies, comparés à leurs prédécesseurs furries, sont assez mal vus dans la société, et cela est très mal vécu par certains bronies. La chaîne Fox News fait souvent office de bouc-émissaire, tellement son avis sur les bronies est tranché et maladroit : cela a atteint son paroxysme lorsque dans une émission, un expert a comparé les bronies au terrorisme. Les réactions ne se sont pas faites attendre…
De même, beaucoup de personnes sont certaines que la majorité des bronies sont homosexuels ou souffrent d’autisme, que ce soit d’un avis convaincu ou juste pour une insulte. Si cela ne peut pas être confirmé, il y a de fortes chances qu’une base des bronies soit composée d’autistes Asperger. Néanmoins, cela contribue encore une fois à un rejet chez les non-internautes.
(cliquez pour agrandir)
Il existe néanmoins quelques soutiens réels au mouvement. Sur la chaîne Comedy Central porteuse du célèbre Daily Show, le présentateur vedette Stephen Colbert a commencé l’une de ses émissions d’une manière particulière… et remarquée. Colbert a par la suite mentionné plusieurs fois les bronies dans ses émissions, s’attirant la sympathie du mouvement.
Rares sont les célébrités se déclarant ouvertement bronies. C’est le cas par exemple de Gabe Newell, fondateur de Valve et créateur de Half Life, qui n’a pas caché son engouement pour le dessin animé. Quitte a lancer des polémiques. En juin 2012, le dernier film présentant les personnages du jeu vidéo Team Fortress 2, “Meet The Pyro”, a été dévoilé au public. Le ton du film, et notamment la personnalité du personnage en question a fait beaucoup réagir, et de nombreux internautes ont argué que “le fait que le Pyro soit un brony, ou du moins a des caractéristiques du brony, ruine totalement le personnage”. Néanmoins, ce fut une pure coïncidence, car les créateurs du jeu ont toujours défendu que le Pyro avait cette personnalité depuis le lancement du jeu, et que les développeurs l’avaient caché aux fans jusqu’à la sortie du film. Mais entretemps, le dessin animé était sorti, le mouvement s’était mis en marche, et les passions s’étaient exacerbées au point de relier, le jour venu, deux choses n’ayant strictement rien à voir.
Bon résumé de l’incident. Le fait que Gabe Newell soit un brony a sans doute catalysé les réactions (/v/ est un forum de 4chan). Le mieux est encore de voir le film pour s’en faire une idée.
Février 2013 : the beginning of the end ?
J’écris mon Arlésienne depuis maintenant 8 mois et entretemps, le mouvement a bien changé. Mais finalement, il fut bon d’attendre mars 2013 pour le publier car le mouvement traverse, depuis février, sans aucun doute la plus grosse crise de son histoire.
Je vous avais parlé de Derpy, du fait qu’elle avait eu son propre rôle dans un épisode, avec son strabisme et son côté un peu ridicule qui ressortait dans sa voix et son comportement. Mais apparemment, cela n’a pas été du goût d’Hasbro, qui craignait que l’apparition de ce poney soit blessante pour les enfants souffrant d’un retard mental. Hasbro a également demandé aux créateurs de garder le show dans son optique initiale avec son public initial : les petites filles de 3 à 7 ans. Du coup, lorsque l’épisode en question a été mis en vente sur iTunes, après sa diffusion sur le Hub, Derpy avait disparu, remplacée par un autre personnage recréé de toutes pièces. Les fans n’ont pas très apprécié le mouvement.
Mais en ce mois de février, les critiques des bronies envers Hasbro se sont faites de plus en plus fortes à cause de deux évènements bien distincts. Le Hub a tout d’abord révélé que l’épisode final de la saison 3 verrait Twilight Sparkle, la personnage principale, élevée au rang de princesse du Royaume de Canterlot. Et tout de suite, les accusations de Mary Sue ont afflué sur les créateurs. Un Mary Sue est le nom défini pour un personnage suridéalisé, sans défaut notable, qui risque d’agacer ceux qui le regardent : ce terme péjoratif était souvent utilisé dans les critiques de fanfictions. Que Twilight devienne une licorne ailée (ce qui n’est accordé qu’aux princesses) ferait d’elle un personnage trop fort, trop idéal, et changerait radicalement la direction du show, voire même annonceraient sa fin, clament les bronies. Les créateurs ont pourtant répondu que depuis le début, Twilight était sur une quête (le secret de l’amitié), quête qui doit s’achever à un moment ou à un autre. Dernièrement, certains bronies ont pu voir l’épisode en question, et l’ont plutôt apprécié, mais cet évènement a bouleversé la fandom masculine du show.
{L’image en question…
… et la réaction des fans ! (M.A. Larson est le principal scénariste de l’épisode, cliquez pour voir l’animation)
Un autre évènement va faire office de coup de tonnerre dans le mouvement brony. Un jeu indépendant était développé depuis deux ans par une équipe de bronies motivée, nommé “My Little Pony: Fighting is Magic” (on voit le genre). Les premières démos, les artworks et les musiques avaient enthousiasmé les fans. Mais en ce mois de février, l’équipe a reçu une lettre d’Hasbro leur demandant d’arrêter le développement du jeu, pour deux raisons : car ils ne leur ont pas accordé leur copyright, et car de toute façon ils ne leur auraient pas accordés à cause de la “violence” ou du moins du “contenu violent” délivré par un jeu visant une licence qui à l’origine visait un public jeune et féminin. A l’heure actuelle, l’équipe et les bronies se battent contre Hasbro pour faire malgré tout sortir le jeu dont le développement arrivait à son terme, mais il n’y aurait pas beaucoup d’espoir…
Attendu depuis deux ans, Fighting is Magic a été annulé suite aux pressions d’Hasbro (En bonus, voici une musique du jeu.)
L’attitude d’Hasbro à l’égard du mouvement brony est comme on peut le voir, une attitude bien ambiguë. Si les créateurs et la chaîne ont communément fait une réponse favorable au mouvement, Hasbro semble hésiter face à lui. Serait-ce à cause de l’image du dessin animé qui risquerait de se masculiniser et de perdre son public initial ? De simples réclamations de Copyright ? D’un manque à gagner en matière d’argent ? On a du mal à cerner les raisons, mais l’inquiétude est légitime : comment réagir face à un mouvement aussi insolite que les bronies ? Il n’y a pas à mon sens, de bonnes ou de mauvaises attitudes : tout dépend du point de vue d’où on se place.
Et les sciences sociales dans tout ça ?
A l’heure où le show va fêter ses 4 ans d’existence, et à la fin de sa 3ème saison, le mouvement brony ne semble pas menacé, mais pourrait très bien amorcer son déclin.
Au moment où le show semble prendre une direction de jump the shark (baisser notablement en qualité, ou faire un épisode non crédible pour “sauver les meubles)), le mouvement brony s’essouffle. Des fans de la première heure partent, au moment même où certains créateurs du dessin animé lui-même ont quitté la production, et les bronies semblent eux-même perdre espoir face à la créativité du show et à leur propre créativité. Malgré l’annonce d’une saison 4, tout porte à croire que les bronies sont en face d’une gigantesque remise en question, après avoir supporté des vagues de critiques sans broncher. Et alors que les saisons précédentes, à leur annonce, suscitaient une explosion de joie, l’annonce de la saison 4 a suscité une forte inquiétude parmi le mouvement.
Une énième comparaison avec le mouvement furry pourrait être faite à l’heure de clore cet article qui m’a pris énormément de temps à finir. Mais en ces 8 mois de rédaction, j’ai vu à quel point il était difficile de faire un article sur un mouvement qui change tous les deux mois, où les passions et les révélations se succèdent à une vitesse effrénée, dans le bon ou le mauvais sens. En relisant cet article, même si la plupart des informations sont toujours valables car elles définissent bien le mouvement, elles pourraient être vues avec un angle différent après ces évènements chaotiques de février 2013. Voire même à terme, être définies au passé et non plus au présent.
Cette interrogation initiale pourrait être en train de ressurgir à l’heure où le mouvement se remet en question (cliquez pour voir l’animation).
Mais je n’avais nullement envie de faire un article de “bilan”. Le mouvement est toujours là, malgré ses remous récents, et il a toujours le même impact sur ceux qui le découvrent pour la première fois. Alors, pour conclure sur une note un peu plus Sciences Po, que pourraient dire les sciences sociales à l’égard du mouvement brony ?
Evidemment, c’est un point de vue sociologique qui pourrait être abordé pour décrire cet engouement pour la série, avec tous les aspects d’un groupe “marginal”, ou d’un groupe à part entière sur la société Internet. Mais n’y aurait-il pas des messages plus profonds derrière ? S’agirait-il simplement de garçons qui, sans vouloir changer le monde, voulaient apporter un message de paix, “un peu de douceur dans ce monde de brutes” impitoyable qu’est Internet ? Quelques-uns, comme Idea Channel, pensent que les bronies redéfiniraient complètement la notion de masculinité, en disant ouvertement qu’ils sont la preuve que les dessins animés ne sont pas relatifs au genre de la personne qui les regarde : en gros, les hommes peuvent aussi bien regarder et aimer MLP que les femmes le feraient pour Transformers par exemple.
Quoi qu’il en soit, le mouvement brony fait et a fait parler de lui, et fait toujours couler autant d’encre (digital). Soulevant autant d’interrogations que de passions, pro- ou antibronies, un enjeu comme My Little Pony n’a jamais été autant discuté sur le Net. Et même si le mouvement semble amorcer une phase de déclin (à moins d’un sursaut ?), il a définitivement acquis sa place dans la culture geek au cours de ces 3 années, de 2010 à 2013, où il a marqué de son empreinte de sabot l’histoire du Net. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, le mouvement brony a été un évènement exceptionnel, et cela, personne ne peut le contester encore aujourd’hui.
Et même si je ne suis pas un brony, à la manière de Stephen Colbert, je ne peux m’empêcher de faire une dédicace à tous les bronies de la Rue Saint Guillaume. Et pour les autres, même si apparemment l’association qui avait été annoncée sur PbdSP n’a pas abouti, il y a bien des bronies à Sciences Po… Et ils pourraient bien être là où vous ne le croyez pas !
Merci de tes modifs toutes pertinentes, Konrad. En revanche, il y a un petit bug ; les deux derniers paragraphes sont entièrement en italiques. Tu as dû enlever une accolade de trop ! 😀 (ou alors c’est juste moi ?)
Mes prochains articles ne seront sans doute pas aussi longs.
A bientôt !
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