Urkund : La menace fantôme
Urkund nous a tous fait frissonner plus d’une fois: “Envoyez moi vos devoirs sur mon adresse Urkund”. Chacun priant alors pour que le logiciel diabolique ne détecte pas la reprise de trois mots sur Wikipedia, s’inventant déjà des excuses plus ou moins douteuses : “Oui mais en fait c’est moi qui ai écrit cet article sur Wikipedia, donc ce n’est pas du plagiat mais du recyclage”. Pourtant, ces inquiétudes se sont rarement matérialisées. Zoom sur ce logiciel à l’efficacité proche de celle d’une poule samouraï.Tout bon sciences-piste connaît Urkund. Ce logiciel anti-plagiat est-il vraiment efficace ? Réponse dans cet article.Pour comprendre à quelle logique répond ce logiciel créé par la firme suédoise éponyme, il suffit de naviguer sur leur site internet qui inspire autant de joie et de bonne humeur qu’un cimetière.
Un outil daté
“Le problème” selon “des enseignants et formateurs ayant connu des cas de plagiat”, est l’omniprésence de celui-ci dans le système scolaire, induisant une inégalité entre les étudiants et inhibant les qualités de recherche de ces derniers. Preuve à l’appui : deux études de 2002, une en Autriche et l’autre en Australie, vont dans ce sens. Outre la parution déjà datée de ces études, peut-on transposer aussi facilement les résultats d’une étude autrichienne ou australienne en France?
Je pense que cette inégalité, au fond, n’était induite que par les différences d’accès au web, qui était un outil peu usité. Les élèves plus “branchés” que les autres, pouvaient alors copier-coller un article Wikipédia pour un paper. Le pauvre professeur, non initié à Wikipédia, n’y voyait que du feu, tandis que les camarades du jeune galopin se faisaient flouer.
Mais le monde a évolué depuis : la majorité de la population a accès à internet (et 100% des étudiants à Sciences Po grâce à l’Apple Store et au WiFi). On ne peut plus copier impunément un article Wikipédia, de par sa forme aisément reconnaissable, privilégiant le descriptif à l’analytique.
Urkund est donc une sorte de produit périmé, basé sur une vision de l’internet désuète.
Le plagiat selon Sciences Po
L’utilisation de données trouvées sur internet est une pratique inscrite dans les moeurs à présent. Le web est la plus grande bibliothèque du monde, ouverte à tous, abolissant la distance, mais aussi réduisant le temps de recherche, grâce aux outils fournis. Qui osera affirmer que lorsqu’on étudiait un livre on ne reprenait pas une ou deux phrases… La seule différence étant qu’on perdait des heures à chercher l’information.
Mais effectivement, internet ouvre la possibilité aux plus fainéants de simplement recopier l’information.
Sciences Po a choisi comme outil de riposte notre logiciel anti-plagiat préféré. Au lieu d’envoyer un mail directement au professeur avec leur travail, les étudiants le transmettent sur son compte Urkund. Ledit logiciel diabolique se charge alors de comparer le devoir avec les documents présents sur internet, publications (livres, revues scientifiques) et les travaux déjà remis par les étudiants.
Urkund joint ensuite la copie au professeur, en indiquant s’il s’agit d’un travail authentique ou s’il y a plagiat, via un rapport. Je n’ai malheureusement pas eu accès à un rapport et ne pourras donc pas vous dire s’ils sont suffisamment détaillés pour permettre au professeur de juger correctement les cas.
Alors, plagiat ou pas ?
On touche ici au problème central d’Urkund : à partir de quand peut-on dire qu’il y a plagiat ?
La plupart des travaux des étudiants sont basés sur la pensée d’auteurs reconnus, les problématiques et la méthodologie posées vont toujours dans ce sens (bibliographie etc…). Partant de ce constat, tout travail d’élève plagie dans un certains sens.
Le logiciel ne fait pas la différence entre les textes d’auteurs, publiés sur internet, et les travaux déjà réalisés par un autre.
Le règlement de scolarité à l’article 11, intitulé “honnêteté intellectuelle”, s’essaye à définir les limites du plagiat :
“Le plagiat est constitué lorsque l’élève a rendu un travail qui ne permet pas de distinguer sa pensée propre d’éléments d’autres auteurs : il peut se caractériser par l’absence de citation d’un groupe de mots consécutifs (à partir de cinq), par la reformulation ou la traduction, par la copie.”
Une définition en somme assez floue, qui ouvre grand la porte aux sanctions inégalitaires. Un professeur particulièrement zélé pourra pénaliser un étudiant ayant repris par inadvertance 5 mots d’un auteur (qui peut se targuer d’être sur de ne l’avoir jamais fait?). Dans d’autres circonstances un vrai cas de plagiat pourra être non pénalisé grâce à une plaidoirie habile et un enseignant compatissant. Sans règles clairement établies, point de justice.
Nous sommes maintenant en état de nous demander combien coûte cette vaste fumisterie. Sciences Po ne communicant pas ces chiffres, il est de bon ton de faire une petite estimation. Urkund prend environ 3€ par étudiant* et que nous sommes environ 9600 camarades, il faut compter 28 800€. Sans être fantaisiste, cette estimation peut manquer de précision, Sciences Po a certainement bénéficié d’un tarif préférentiel au vu de sa taille.
Un effet avant tout préventif…
Au final, peu d’élèves ont été repérés en train de tricher à cause d’Urkund (si quelqu’un a les chiffres, je suis preneur). D’ailleurs, une étude comparative réalisée en Mai 2008 à l’IEMN-IAE Nantes* souligne son manque d’efficacité. Pendant mes deux premières années de Bachelor à Sciences Po seulement deux professeurs ont eu recours au logiciel. Son effet réside plus dans la peur qu’il créé. La société reconnaît elle-même que son principal effet est préventif.
Il est alors légitime de s’interroger sur le choix de Sciences Po de garder ce logiciel. En créant un monde où on est toujours plus contrôlés, le sentiment de cohésion sociale s’amenuise. Le problème est qu’on ne peut pas toujours exercer un contrôle. Et qu’il existera toujours des moyens de tricher (ex : si on est malin, utiliser un format texte non reconnu par Urkund). Ne vaudrait-il pas mieux contribuer à bâtir un monde fondé sur la confiance entre les individus et laisser les étudiants prendre leurs responsabilités. Alors même que notre cher M. Algan nous a appris en Macroéconomie que confiance et croissance sont liés, la question vaut la peine d’être posée.
Le moyen le plus efficace de lutter contre le plagiat consisterait (à mon humble avis) à donner des travaux qui sortent des sentiers battus, et ne peuvent pas trouver de réponse via une simple recherche internet. A débattre.
Totalement d’accord avec l’article. A mon sens un des plus gros problèmes d’Urkund est aussi l’opacité de son processus: outre le fait que l’étudiant perde totalement le contrôle de son devoir, il ne sais pas comment il est traité et ne peut qu’être mis devant le fait accompli une fois les résultats envoyés au professeur.
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