Steam, le dragon qui règne seul sur la distribution numérique

Ils est immense, crache du feu et au fond de sa caverne, garde seul un inestimable trésor. Il s’appelle Steam et règne sans partage sur le monde de la distribution numérique des jeux vidéo. Suite de notre panorama en trois parties des géants qui s’affrontent sur ce marché, du chemin parcouru, et de ce qu’il reste à faire.

Après avoir fait un tour dans les années 1980, faisons un bond dans le temps et retournons au XXIe siècle. Que devient le shareware dans les années 2000 ? Soyons clairs : le shareware, c’est une première pour les petits développeurs, mais sa portée reste très limitée. Peu de développeurs en vivent.

 

La naissance d’un monstre

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Gabe Newell, co-fondateur
de Valve

 

C’est avec l’arrivée d’un monstre nommé Steam que la distribution numérique connaît son véritable essor. Lors de son lancement en 2003,Valve n’avait conçu le service que pour ses propres jeux : il devait permettre de distribuer plus facilement des mises à jour, notamment pour Counter-Strike. Mais très vite, Gabe Newell, le célèbre patron de Valve, se rend compte du potentiel de de son dragonneau. Et s’il devenait un véritable magasin en ligne ? Si l’on pouvait y retrouver tousles jeux de Valve ? Ainsi que toutes les grandes sorties du moment ?

 

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Dès 2005, Steam s’ouvre aux éditeurs tiers. La sauce prend vite. En 2007,BioShockCall of Duty 4 et S.T.A.L.K.E.R se retrouvent sur le service. Ça parait déjà lointain, mais certains d’entre vous se souviennent sûrement d’un pack de jeux qui s’est très bien vendu, The Orange Box. Les jeux inclus ? Tous de Valve, tous attractifs, tournant tous avec un puissant moteur fait maison (Source Engine) : un certain Half-Life 2 avec deux extensions, un Team Fortress 2 qui n’était pas encore gratuit, et un petit nouveau assez expérimental et qui a beaucoup plu, Portal. Un bundle de rêve, distribué en magasin, mais aussi sur Steam, et qui a grandement contribué à l’adoption du service par les joueurs.

L’ascension de la bête

A-t-on vraiment besoin de raconter la suite de la vie de Steam ? Son succès fulgurant ? L’arrivée de tous les grands éditeurs, de tous les blockbusters, et des joueurs en masse ? Steam est devenu un immense dragon qui, du fond de sa caverne, trône seul sur un immense trésor. En 2011, la distribution numérique, c’était 4 milliards de dollars. Steam en possédait entre 50% et 70% (source).

Le secret de la bête ? En un mot, la désintermédiation. Devenir le lieu de rencontre par excellence entre les joueurs et les développeurs. Permettre aux premiers de piocher instantanément dans un catalogue sans fin, plus vaste que celui de n’importe quel magasin physique. Fournir aux seconds un marché immense, à travers le monde, accessible directement. Aujourd’hui, si un jeu AAA est disponible sur PC, il y a de fortes chances pour que vous le trouviez sur Steam, parce que Valve y a activement attiré tous les grands éditeurs [1]. C’est une aubaine pour les joueurs, et donc pour les studios qui savent qu’ils y trouveront une demande.

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Steam, un catalogue de jeux sans fin à portée de clic.

 

Pourtant, ça n’a rien d’évident. Pour la musique, le cinéma et les livres, la désintermédiation est beaucoup plus lente, beaucoup plus problématique. Ce n’est pas le cas dans le jeu vidéo. Les éditeurs ont tout de suite vu l’intérêt du dématérialisé. Moins de coûts, des marges plus élevées. Alors oui, au début, et peut-être même encore aujourd’hui, beaucoup de joueurs ont déploré que les prix à la sortie soient les mêmes et en magasin, et sur Steam.

Mais Gabe Newell a pensé a tout. Steam est connu pour ses soldes agressives d’hiver et d’été, pour le plus grand bonheur des joueurs et pour le plus grand malheur de leurs portefeuilles. Vous n’avez pas pu acheterSkyrim à sa sortie ? Aucun problème, pendant les soldes d’été, les prix descendent bas, très bas. -40% pour les jeux de l’année, -66% voire -75% pour ceux d’une année auparavant. Entre le bundle Portal 1+2 qui vous permet de faire d’une pierre deux coups, et Morrowind dont vos aînés vous ont dit tant de bien, il y a toujours un bon jeu que vous avez manqué dans le catalogue de Steam. Et lors de ces fameuses ventes Flash, quand vous n’avez que 24h pour vous décider, qui peut résister ? Gabe Newell est un démon ou un génie du marketing.

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Les soldes Steam, un moment bi-annuel que les joueurs et leurs porte-monnaies n’oublient pas.
 

La perfidie du dragon

Mais Steam a bien d’autres secrets. S’il y a bien une chose que Valve a compris, c’est qu’un catalogue ne suffit pas pour fidéliser des clients. Sur 3DS, Nintendo peut créer un eShop sans trop lui accorder d’attention, parce que Nintendo maîtrise les règles du jeu sur la plateforme, et aucun autre ne peut y développer des applications. Mais sur PC, la concurrence est ouverte à tous. You win or you dieSteam doit constamment évoluer pour fidéliser les joueurs. Et ça, Valve sait très bien le faire.

Steam, aujourd’hui, c’est bien plus qu’un catalogue :

  • C’est une bibliothèque qui vous permet de retrouver vos jeux sur tous vos ordinateurs. Dans certains cas, le cloud vous permet même de synchroniser vos sauvegardes.
  • C’est un réseau social pour les joueurs, sur lequel on crée des groupes, discute, s’échange des jeux, compare ses collections.
  • C’est une communauté où les développeurs de mods peuvent partager leurs créations, ou même leurs maps.
  • C’est un jeu qui vous pousse à l’achat, avec des achievements et depuis peu, des cartes à collectionner.
  • C’est un système de plus en plus portable. Partant de Windows, il s’est étendu à Mac et à Linux.

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Steam est en perpétuelle évolution. Aux dernières nouvelles ? Steam comme console de salon. Rien que ça.

 

Steam, c’est en définitive un écosystème si pratique et si agréable qu’il est difficile de le quitter, et impossible de le remplacer. C’est la raison pour laquelle aucun de ses concurrents ne parvient à l’égaler. Dans le monde impitoyable de la distribution numérique, Origin de EA est l’un de ses rares adversaires. Mais il ne brille ni par son interface, ni par son catalogue. En fait, je ne connais strictement personne qui soit heureux d’avoir installé Origin. C’est au mieux un mal nécessaire, au pire une malédiction ; dans tous les cas, a pain in the ass. EA n’impose en fait Origin qu’en utilisant une fourbe stratégie de rétention : obliger les joueurs à installer son service pour jouer à ses jeux. Comme il s’agit de jeux populaires comme Battlefield 3 et 4 ou Les Sims 3, ça fonctionne malgré tout, mais ça ne plaît à personne. Alors oui, nombreux sont les éditeurs à faire de même sur Steam, mais le dragon de Valve a une longueur d’avance. Le catalogue le plus riche qui soit, un écosystème extrêmement confortable, tout cela, ni Origin ni aucun autre concurrent ne l’a, et il semble difficile de rattraper un tel retard.

Dans ses beaux jours, EA utilise des tactiques plus nobles et plus efficaces. Le Humble Origin Bundle était un pack de jeux édités par EA et donné, comme tous les Humble Bundles, en pay-what-you-want aux joueurs. Pour 1$ ou plus, vous obteniez Dead Space 3Dead SpaceCrysis 2Burnout ParadiseMedal of Honor et Mirror’s Edge, ainsi que Les Sims 3 si vous payiez plus que la moyenne. Et comme EA n’a pas une très bonne réputation auprès des joueurs, tous les revenus étaient reversés à la Croix-Rouge. Tous ces sacrifices pour inciter les joueurs à installer Origin, oui, oui. C’est vous dire qu’ils détestent ce service. Pourtant, ça marche : avec 10 millions de dollars et 2,1 millions de ventes, c’est jusque-là le Humble Bundle le plus réussi de tous les temps.

Ce coup de force met-il en danger le protégé de Valve ? Je me permets d’en douter. Steam évolue plus rapidement et comble nos attentes avant même qu’on y ait pensé. Quand on sait que Steam sera très bientôt un un système pour toute la famille, qui vous permettra de partager vos jeux entre utilisateurs d’un même ordinateur, je me permets d’en douter. Quand on sait que Steam sera bientôt une vraie console de salon avec le catalogue entier du service et des jeux adaptés aux grands écrans, je me permets aussi d’en douter. Le dragon de Gabe Newell a révolutionné la distribution numérique et il suffit de regarder ses yeux jaunâtres pour y déceler son avarice sans fin. À suivre…