Qui sont les Anonymous ?

“We are Anonymous. We are Legion. We do not forgive. We do not forget. Expect us.”

Vous avez sans doute déjà lu ou entendu ce slogan : c’est celui du groupe Anonymous, un groupe de hacktivistes qui a fait beaucoup parler de lui récemment, en protestant contre SOPA et l’ACTA par le biais de piratages informatiques et de manifestations.

Mais qui sont-ils ? Je ne répondrai pas à cette question par des identités exactes, évidemment, mais en m’efforçant de décrire au mieux ce groupe d’individus, en partant de ses origines et en évoquant sa philosophie générale.Derrière les masques de V for Vendetta et le slogan, qui sont ces “hacktivistes” et que veulent-ils ?


Aux origines d’un mème

Au départ, Anonymous n’a rien d’un véritable groupe d’individus. On trouve l’expression dans de grands imageboards tels que 4chan, où tous les utilisateurs sont anonymes et publient sous le nom “Anonymous”. On ne sait donc jamais à qui l’on s’adresse (sauf choix spécifique de l’utilisateur). Eventuellement, les utilisateurs ont fini par identifier les “Anonymous” comme des individus à part entière, voire comme une communauté : “Hello anon” est ainsi une façon commune de saluer la communauté avant de publier son message.

Au début, Anonymous est donc un mème : c’est un groupe fictif qui ressemble plus à une référence culturelle commune qu’à une véritable “communauté”. On retrouve l’existence de ce mème dans les “Règles de l’Internet” popularisées sur 4chan, notamment sur /b/inb4 R1&2, oui je l’ai fait exprès, ainsi qu’une partie du slogan.

L’idée de “collectif” prend tout son sens à partir de 2008 dans le cadre du Projet Chanology : une partie des utilisateurs de 4chan se revendiquant “Anonymous” avaient à l’époque décidé de s’opposer à la scientologie, en procédant à des attaques DDoS (Attaques par Déni de Service) contre leur site principal. Le groupe prend forme : il n’est plus un simple mème, mais possède un but commun. Il reste extrêmement vague, puisqu’on peut le rejoindre ou en sortir quand on veut, de façon totalement anonyme, et qu’il n’est pas du tout structuré.


Les Anonymous aujourd’hui

Aujourd’hui, les Anonymous sont extrêmement populaires grâce aux nombreux projets de lois et d’accords commerciaux, notamment SOPA et ACTA, qui visent à une censure partielle d’Internet. Toute la presse en parle, à un moment ou à un autre, car le groupe est devenu très actif : tous les jours, plusieurs sites sont piratés ou victimes d’attaques DDoS massives. Anonymous est doté d’un (ou plus) profil(s) Facebook, d’un profil Twitter, et peut maintenant être identifié par le port d’un masque, issu du film V pour Vendetta.

Le collectif Anonymous va donc maintenant au-delà du mème. Il n’est plus une simple référence culturelle commune mais un groupe anonyme et éclaté dont n’importe qui peut se revendiquer. Ce groupe a une philosophie générale : lutter pour la liberté d’expression et la liberté sur le Net. Avant SOPA et ACTA, ils se sont opposés à la censure gouvernementale avec diverses opérations (opération Tunisie, Iran, Algérie…). Dernièrement, ils soutiennent la loi française sur le génocide arménien, et continuent de pirater des sites gouvernementaux et de grands groupes de divertissement (Vivendi ou Sony, par exemple). Ils organisent également des manifestations, comme celle qui prendra lieu le samedi 11 février 2012 à Paris pour protester contre l’ACTA.


La structure d’Anonymous


**”We are Anonymous. We are everyone.”

L’idée de base d’Anonymous est que n’importe qui peut y adhérer. De ce fait, on peut se revendiquer Anonymous et faire partie de la communauté dans le but de lutter contre la censure du Net.

Néanmoins, étant donné que le groupe est censé être dépourvu de leader et totalement éclaté, cela signifie également qu’on peut faire partie d’Anonymous et revendiquer n’importe quelle philosophie. Pourquoi pas faire partie d’Anonymous et soutenir l’ACTA ? Cela semble possible, étant donné qu’un groupe éclaté et qui prétend être ouvert à tous ne peut pas avoir d’idéologie officielle (personne ne peut la reconnaître).

Dans ce cas, pourquoi Anonymous semble-t-il toujours défendre la liberté du Net ? Simplement parce que le groupe n’est en rien ouvert à tous, et en rien dépourvu de leader. En effet, on ne peut pas à la fois se prétendre anonyme, éclaté, sans chef, ouvert à tous et prendre une position idéologique bien précise : personne n’est en droit de l’annoncer au nom du groupe. Et pourtant, c’est ce qui se passe : Anonymous a une position bien définie et condamne les actes d’autres individus qu’ils ne considèrent pas comme faisant partie intégrante de la communauté ; c’est le cas de l’attaque DDoS sur le site de L’Express. Anonymous publie régulièrement des vidéos et possède des comptes Facebook et Twitter, ainsi qu’un site Web.

Qui possède ces comptes, le nom de domaine du site, organise les manifestations et décide de la ligne d’Anonymous ? A l’évidence, sans doute pas un seul individu, et cela n’a que peu d’importance. L’essentiel est là : Anonymous n’est pas un groupe spontané, sans leader et ouvert à tous. C’est un groupe anonyme dont une fraction prend décisions et initiatives et qui s’ouvre à tous ceux qui souhaitent défendre sa cause. Il impose sa voix à ceux qui souhaiteraient s’en différencier (par exemple, l’idée qu’Anonymous ne doit pas s’attaquer aux média).

**Un éclatement partiel

On ne peut cependant pas nier l’éclatement de la communauté Anonymous. Après tout, les comptes Facebook et Twitter ainsi que le site que j’ai évoqués sont-ils officiels, ou ne constituent-ils qu’une facette de la communauté, contredite ou concurrencée ailleurs ?

Je ne suis pas certain que d’autres “facettes” existent : le positionnement idéologique est toujours le même, et ceux qui s’en détachent sont radiés de la communauté par ses figures d’autorité. Ces figures d’autorités ne sont pas élues, ni sans doute désignées : elles ont une autorité de facto parce qu’elles possèdent les moyens matériels de diffusion de l’information. C’est à elles que se rallient la masse ; les autres groupes au sein d’Anonymous, s’ils existent, n’ont aucune importance. Il existe donc bien une communauté, une idéologie et des leaders de fait au sein d’Anonymous.

Mais la communauté reste éclatée. En effet, tous au sein d’Anonymous sont loin d’être aussi zélés. A la base, Anonymous, c’est quand même fait pour déconner un peu : rappelons que le projet initial est une attaque (DDoS) du site Web de la Scientologie. Anonymous, ce sont d’abord des skiddies qui s’amusent un peu avec LOIC ou HOIC des logiciels de DOS. Cracker des sites Web, trouver des slogans et faire la une de certains journaux, c’est assez fun ! En témoigne un Anonymous dans Le Petit Journal : “On fait ça surtout pour se marrer.” Certains s’amusent de façon un peu plus sophistiquée qu’avec des attaques DDoS — comme le cracker qui a récemment piraté Symantec et obtenu le code source de plusieurs logiciels — mais ils ne forment qu’une partie infime de la communauté.

On peut donc schématiser la structure d’Anonymous en trois parties :
-* Il y a d’une part une petite communauté, solide et pour une part zélée — ou qui fait très bien semblant — qui possède les moyens matériels de diffusion, organise les attaques et structure l’idéologie du mouvement
-* D’autre part une plus large communauté, qui s’amuse à faire couler une multitude de sites pendant quelques heures grâce à des attaques DDoS et qui aime qu’on parle d’elle
-* Enfin une communauté encore plus large, faite d’amateurs qui veulent sérieusement défendre la neutralité du Net et qui soutiennent Anonymous sans prendre la moindre décision ou initiative. Ils s’identifient à Anonymous parce que cela devient une façon commune de protester contre la censure.


Soutenir Anonymous ?

Maintenant qu’on sait à peu près qui sont ces Anonymous, vient la question la plus importante : doit-on être d’accord avec leurs actions ?

On peut résoudre la question assez simplement. Les méthodes d’action d’Anonymous se caractérisent spécifiquement par des attaques ciblées de sites Web soutenant, de près ou de loin, SOPA ou ACTA. Ces attaques sont illégales. Est-il juste d’attaquer des sites Web pour revendiquer la neutralité du Net ?

Je m’explique d’abord sur ce caractère de “spécificité”. En effet, j’indique plus haut que les Anonymous organisent également des manifestations ; ils font aussi signer des pétitions, et donnent des moyens parfaitement légaux d’exprimer son opposition à la censure du Web. Néanmoins, Anonymous n’a pas conquis la sphère médiatique et publique grâce à cela : c’est par ses attaques à répétition, que ce soit du véritable piratage ou des attaques DDoS, qu’Anonymous s’est fait connaître de tous. Sans cela, Anonymous serait sans doute resté plus ou moins dans l’ombre ; tout du moins, le groupe serait plutôt méconnu, à peu près autant que des associations pourtant très actives comme la Quadrature du Net.

Cette spécificité de l’action d’Anonymous en réduit, je crois, fortement la légitimité : un groupe qui se manifeste illégalement ne peut prétendre peser sur les décideurs publics par le biais de ses actions pacifiques. A ce niveau, l’utilité d’Anonymous se résume à son rôle informatif et logistique : il permet une plus grande visibilité des projets tels que l’ACTA et fait connaître les pétitions et lettres pour exprimer son désaccord et solliciter les décideurs publics. Mais il ne peut pas être une force revendicative en lui-même, du fait de sa nature hors-la-loi ; il est seulement un relai d’information et aide à l’organisation de manifestations. Mais se revendiquer — ou soutenir — Anonymous n’a aucun intérêt pour celui qui souhaite lutter contre la censure du Web.

De façon un peu caricaturale, les Anonymous sont donc, en définitive, un groupe désordonné d’individus qui piratent des sites soit pour le Bien Suprême (parce qu’ils s’y croient… grave), soit pour le fun, et qui permettent de populariser l’opposition à la censure du Web, notamment matérialisée par l’ACTA en Europe, en offrant des outils légaux d’opposition tels que pétitions et manifestations. Ils restent un outil très important pour populariser l’opposition à l’ACTA et amener le débat dans la sphère publique.

Quand je vous disais qu’ils s’y croyaient ?


ANONYMOUS Code de conduite (French Subtitles) par Rotulette

Le “code de conduite” d’Anonymous pendant les manifestations


  1. Konrad dit :

    L’article a été réédité. J’ai réorganisé les dernières parties et clarifié certaines idées, notamment celle que les Anonymous prennent en effet des actions pacifiques et légales. Mon article original ne montrait pas assez que j’avais conscience de cette facette du groupe.

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