Partout, pour tout: l’internet des objets

Article inspiré de “La Métamorphose des Objets” écrit par Frédéric Kaplan, publié en 2012 par les éditions FYP.

Comment utiliserons-nous les possibilités qu’offre internet demain ? Par quelles interfaces passerons-nous ? Quelles conséquences au quotidien ? On l’aura compris, notre monde change vite… Alors à quoi pourrait-on s’attendre ?

Les ordinateurs, interfaces par excellence

Demandez aujourd’hui à quelqu’un de citer les objets auxquels il tient le plus, et vous aurez toutes les chances de voir « mon ordinateur » apparaître dans la liste. Enfin, dans ma liste en tout cas.

Pourquoi ? Tout simplement parce que sur notre ordinateur sont stockées une quantité impressionnante de choses auxquelles nous accordons (ou avons accordé) de l’importance, comme des musiques, des films, des documents, des jeux, des photos, mais surtout parce que c’est grâce à notre précieux ordinateur que nous pouvons accéder au Web.

Ce n’est donc pas nos ordinateurs en eux-mêmes qui ont de la valeur, c’est ce à quoi ils nous permettent d’accéder. La preuve ? On change régulièrement d’ordinateur, tout comme on change de portable. Pas d’affection, pas de souvenirs associés à votre machine, pas de regrets puisque ce que vous pouviez faire avec avant, vous pourrez toujours le faire après (mais plus vite).

On peut ainsi observer que nos ordinateurs tendent à perdre du contenu, celui-ci se trouvant de plus en plus sur le web. La plateforme de jeux vidéo Steam, le Cloud d’Apple, les services proposés par Dropbox… sont des exemples qui viennent immédiatement à l’esprit, mais le phénomène est plus large. Il faut en fait imaginer un unique ordinateur auquel viendraient se connecter tous les appareils de la planète afin d’y stocker des données, d’échanger des musiques, d’accéder à des informations ou à des programmes. On l’appel cloud computer, world wide computer ou grille ; Frédéric Kaplan y préfère l’appellation d’ordinateur mondial.

 

Conséquence ? Un quotidien entièrement repensé

Hé bien ceci est une révolution qui dessine un nouvel avenir, un futur transformé, un bouleversement dans notre quotidien. Un monde dans lequel des objets communs seraient connectés à cet ordinateur mondial afin de pouvoir bénéficier de sa capacité à stocker de la valeur, mais aussi à nous faire parvenir des informations. Un monde dans lequel ce ne serait pas à l’homme de s’adapter à un bureau virtuel en utilisant le triptyque écran/clavier/souris, mais bien au virtuel de basculer dans la réalité. Il s’agit, pour ce faire, de penser de nouveaux objets-interfaces, c’est-à-dire des objets connectés, capable de répondre à nos attentes de manière rapide et personnalisée.

A première vue, le concept paraît surréaliste. Après tout, utiliser un site web pour stocker les photos de votre 3A ne signifie pas que votre prochain réfrigérateur affichera la liste de ce qu’il contient tout en commandant des bières à l’approche du samedi soir. Pourtant, en se penchant sur des objets de notre quotidien parfaitement adaptés à leur environnement, quelques éléments laissent sous-entendre qu’un changement massif est probable.

Prenez un thermostat, par exemple. Grâce à ce petit boitier vous pouvez régler la température en fonction de l’heure : chauffage le matin, pause la journée, reprise le soir puis pause la nuit. Un processus qui, une fois qu’il a été programmé, est totalement autonome. De là à rendre ce thermostat capable d’accéder aux données météorologiques de l’extérieur pour, ensuite, croiser les commandes de l’utilisateur avec un souci d’économiser de l’énergie, il n’y a qu’un pas, que les concepteurs de thermostat se sont empressés de franchir. Il s’agit donc en quelque sorte de rendre les objets “intelligents”, pour que nous cohabitions avec eux en parfaite harmonie.

Remplacez le thermostat par ledit réfrigérateur, le temps qu’il fait par internet, et l’électroménager de vos rêves n’est finalement pas si loin… Ce concept porte un nom : l’internet des objets (ou IdO pour les intimes), défini par wikipedia comme ” l’extension d’Internet à des choses et à des lieux dans le monde physique.” Le terme ayant été utilisé pour la première fois en 1999 par Kevin Ashton (un pionnier de l’informatique), cela fait donc une quinzaine d’années que des chercheurs essaient d’en faire une réalité, réalité qui semble de plus en plus crédible.

La valeur qui est susceptible d’être transférée sur l’ordinateur mondial propose elle aussi de nouvelles voies d’exploration. Il s’agit en fait de données acquises suite à l’utilisation de ces objets qui indiquent ce que nous faisons, le lieu où nous sommes, ce que nous regardons, quelle musique nous écoutons, etc.

Une sorte de Facebook omniprésent ? Non, car ici, l’intérêt est avant tout pour l’utilisateur de prendre conscience de ses pratiques quotidiennes et de se créer des souvenirs, sans pour autant les révéler à tous ses amis. A vrai dire, ce que vous avez mangé ce midi, la musique que vous avez écouté, votre liste de course, ça n’intéresse pas grand monde. Par contre, pour vous, trouver rapidement des idées de plats pour le dîner, de nouveaux artistes ou le nom d’une chanson entendue dans une pub à la télé, voir une suggestion de recettes prenant en compte votre liste de course peut s’avérer très utile.

 

Des protections nécessaires

L’idée est donc de créer un environnement capable de discerner nos actions pour améliorer notre confort. Mais immédiatement, un problème se pose : n’est-il pas risqué de se synchroniser continuellement, c’est-à-dire de voir ses faits et gestes continuellement analysés, mis en ligne et donc susceptibles d’être rendu visibles par autrui ? Pour éviter de ne plus avoir de sphère privée, il existe deux solutions complémentaires.

Premièrement, et c’est la moindre des choses, l’utilisateur doit pouvoir contrôler tout ce qu’il synchronise avec l’ordinateur mondial. Il doit lui être possible de choisir ce qui, dans sa vie, mérite d’être souligné et ce qui n’est pas d’une grande utilité. Un travail autobiographique, en quelque sorte.

Ensuite, l’émergence de ces nouvelles pratiques doit aller de pair avec ce que Frédéric Kaplan nomme « des banques d’un nouveau genre ». Le constat est simple : toutes ces données constitueront une mine d’informations pour n’importe quel agent commercial, ce qui dessine un futur qui, bien que merveilleux, nous assaillira de pubs ciblées et autres pop-up personnalisés (d’ailleurs, si vous en avez assez de voir que des milliers de célibataires vous attendent sur Zoosk à chaque ouverture de votre page Facebook, allez-donc voir ici). Certains seraient très intéressés de savoir combien de personnes achètent tel produit, comment elles le consomment, quel programme entraîne un changement de chaîne… Sur une base beaucoup plus large, donc plus fiable, qu’un simple panel de consommateurs. Par conséquent, nous pourrons confier à des établissements spécialisés la gestion de ce patrimoine numérisé afin de le protéger.

Il ne reste donc plus qu’à inventer, développer et commercialiser ce sur quoi tout ceci repose : les objets interfaces. Quelques voies sont déjà explorées (voir ici) mais il est possible d’aller beaucoup plus loin. Ainsi se dessine une maison où les interfaces les plus traditionnelles comme les ordinateurs seront composées de matière renouvelable (puisqu’ils n’ont pas de valeur propre, leur durée de vie est forcément limitée à un an ou deux), ou bien ils disparaîtront purement et simplement. Pour ce faire, par exemple, les ampoules de nos maisons pourraient être d’un genre nouveau, capable par la seule lumière qu’elles émettent de saisir toutes les informations nécessaires à cet archivage de notre vie quotidienne. Pure fiction ? Même pas, cet objet existe déjà.