Le jeu vidéo en 1985 : retour vers le futur

1985, une année comme les autres ?

Il est 19 heures, nous sommes le 21 octobre 1985. Marty McFly sort de la salle d’arcade après avoir passé l’après-midi sur le tout nouveau Ghost n’ Goblins à combattre des zombies et autres monstres démoniaques. Jamais il n’avait joué à un jeu aussi difficile ; l’overdose de stimuli et la somme dépensée lui font tourner la tête. A peine effleuré par un squelette anorexique, le héros tombe raide mort et recommence le niveau depuis le début. Mais quand même, le jeu est sublime.

Marty fouille ses poches vides et se demande s’il ne devrait pas économiser pour s’acheter une NES. En même temps, les consoles, ça craint. Il se souvient encore de sa vieille cassette E.T. qui traîne quelque part, peut-être rangée avec l’Atari VCS dans un placard. Le jeu était tellement mauvais ! Laid, injouable, ennuyeux, énervant même, cet infâme affront à l’intelligence humaine était visiblement bâclé – développé en cinq semaines seulement dans l’urgence la plus totale. On dit que la NES n’a rien à voir avec ces arnaques, mais il n’y croit qu’à moitié. S’il s’était penché sur la question après son bond dans le temps, Marty aurait pu se rendre compte de ce que représentait l’année qu’il venait de quitter.

L’empire du soleil levant contre-attaque

Super_Mario_Bros_1985

1985 est une année d’espoir pour le jeu vidéo. De 1983 à 1984, une grave crise a frappé l’industrie, emportant avec elle nombre d’éditeurs qui ne peuvent résister à une telle baisse des ventes. La sanction des joueurs est sans appel : face à la multiplication de copies et de jeux médiocres truffés de bugs, le public se lasse. Certains observateurs en concluent que le jeu vidéo est en bout de course, que la mode est passée. C’était sans compter la montée en puissance de l’ordinateur personnel et le débarquement nippon sur les côtes occidentales.

1985, c’est le lancement de la Nintendo Entertainment System aux Etats-Unis, accompagnée du plus célèbre des plombiers. Super Mario Bros. révolutionne le level design et propose pour la première fois des heures et heures de gameplay sur la base d’un concept simple et entraînant. Pas de fioritures, le jeu est tout bête, mais qu’est-ce que ça marche bien ! Shigeru Miyamoto inaugure là une nouvelle tendance en game design, celle de l’école japonaise représentée par Nintendo. Sur ce plan, les européens et les américains ont un sacré retard.

De l’autre côté de l’Atlantique

En France pourtant, depuis 1983, une petite société prend du galon : Infogrames se fait un nom dans le milieu des éditeurs francophones. Bruno Bonnell, l’un des fondateurs, voulait appeler l’entreprise « Zboub Système », avec l’ambition probable de conquérir le monde du jeu vidéo afin que chaque cartouche et chaque console soient estampillées « Zboub » – mais les conseillers juridiques manquant terriblement d’humour, c’est finalement une contraction des mots « informatique » et « programme » qui est retenue.

« En 1985, le développement vidéoludique entame tout juste sa phase d’industrialisation et la majorité des productions sont réalisées dans des conditions artisanales. »

Un an plus tard, dans un reportage télévisé, Bruno Bonnell et son associé, Christophe Sapet, reviennent sur la genèse de leur aventure. Ils se sont rencontrés en « jouant aux morpions », ils se sont lancés dans le développement parce qu’ils « en avaient marre de jouer aux jeux des autres ». Le développement vidéoludique entame tout juste sa phase d’industrialisation et la majorité des productions sont réalisées dans des conditions artisanales. En 1985, Erich Chahi, créateur d’Another World, a 18 ans et travaille sur des jeux dans sa chambre, chez ses parents. Il réussit à décrocher quelques contrats ici et là, mais selon ses propres dires, leur commercialisation « frôle l’amateurisme ». Cité dans Tilt, un éditeur déclare qu’il n’a « jamais vu un bon programmeur de plus de 21 ans ». L’industrie est encore jeune, dans tous les sens du terme.

Marty enfile sa veste sans manches et se lance sur son skateboard, encore sonné par les bruits et lumières de l’arcade. Au feu rouge, il réussit à s’accrocher derrière un pickup vert. Le chauffeur le remarque, lui fait un signe de la main, monte le son de sa radio et redémarre, accompagné par Kool & the Gang.