Le flow, ou ce qui sépare les bons jeux des mauvais

Vous regardez l’heure : tout va bien, vous avez le temps de lancer une partie avant de vous plonger dans cet exposé qui vous suit depuis le début de la semaine. Rapidement le score augmente, l’équipe adverse perd du terrain, il semblerait même que votre team soit composée de joueurs compétents ; bref, tout va pour le mieux. Puis vous remarquez que les 40 minutes initialement prévues ont largement dépassé sur votre temps de travail… Bon, cet exposé attendra bien un jour de plus. Perte de la conscience de soi, distorsion temporelle, hyperfocus… Ça vous tente ?

Encore un peu et j’arrête !

Quiconque a un jour joué à un jeu vidéo a déjà vécu une scène similaire, et si c’est votre cas, sachez qu’à cet instant vous aviez accédé au flow.

Qu’est-ce ? Le flow (littéralement flux en anglais) est un concept théorisé par le psychologue Mihaly Csikszentmihalyi il y a une dizaine d’années qui peut se comprendre en quelques points :

– L’activité menant au flow est un challenge qui demande une certaine dose de compétence
– Ce challenge doit être gratifiant, bannissant ainsi le stress et l’ennui
– Les objectifs doivent être clairement définis
– Les conséquences des actions doivent être directement perceptibles
– Le flow nécessite un état d’hyper concentration
– Le flow crée une sensation de contrôle total
– Le flow entraîne une perte de la conscience de soi-même
– Le flow entraîne une perte de la notion du temps

En écrivant Flow : The Psychology of Optimal experience, Csikszentmihalyi ne pensait pas exclusivement aux gamers. Il est ainsi tout à fait possible d’atteindre le flow en pratiquant un sport ou en surfant sur le net car il n’est pas nécessaire de réunir les huit conditions pour y accéder. Cependant c’est dans le monde du jeu vidéo que cette théorie trouve une application parfaite.

 

Des jeux pour tous les flows

Un jeu est en général jugé sur son immersion : plus le joueur est pris par l’action, mieux c’est. Grâce à la théorie de Mihaly Csikszentmihalyi, les développeurs connaissent désormais les ressorts de l’accession au flow et peuvent essayer d’améliorer leurs jeux en conséquence.

Ce point, Jenova Chen, game-designer à qui l’on doit les jeux Flower et Journey, l’a bien compris puisqu’il en a fait une thèse (accessible en anglais ici.)
L’idée principale de la thèse est d’intégrer un système de Dynamic Difficulty Adjustment (DDA) au jeu afin que celui-ci convienne à tous les publics. Pour mieux faire comprendre l’argumentation, quelques graphiques sont utilisés.

Sur ce graphique, l’équation menant au flow est limpide. Si le jeu est trop difficile pour les talents du joueur, celui-ci abandonnera par frustration, s’il est trop simple le joueur sera ennuyé et ne le finira pas.

Ici est exposé l’un des plus gros problèmes des jeux vidéo en général : le niveau de difficulté ne satisfait presque jamais toutes les classes de joueurs. C’est à cause de cette différence de flow zone que la guerre entre hardcore gamers et cazu Casual gamer fait rage : leurs attentes étant trop différentes, la majorité des jeux décevra au moins un groupe (et c’est souvent le premier.)

Comment, alors, intégrer une DDA satisfaisante aux jeux ? La tâche paraît difficile car on imagine mal qu’un jeu puisse déduire par lui-même si le niveau du joueur est adapté à ce qu’il propose. Si un joueur décide de faire mourir tous ses Sims, cela ne signifie pas qu’il est mauvais… Les performances dans un jeu sont objectives, alors que le flow est quelque chose d’intrinsèquement subjectif.

Jenova Chen propose donc trois points sur lesquels les développeurs ont intérêt à travailler :
– Étendre la zone de flow grâce à une diversité de gameplay, de difficulté et de ressenti
– Créer un système de DDA permettant à chaque joueur de profiter pleinement du jeu
– Intégrer ce système grâce à des choix à effectuer intelligemment placés tout au long de la progression

 

Et concrètement, ça donne quoi ?

Pour illustrer sa thèse, Jenova Chen propose de jouer à un autre de ses jeux, flOw. Ici, le joueur guide un organisme qui progresse de plus en plus profondément dans les abysses tout en se nourrissant des autres organismes présents. Au fur et à mesure de la progression l’environnement et notre plancton évoluent, et en fonction de la nourriture ingurgitée le joueur peut soit passer au niveau suivant soit revenir en arrière, ce qui permet de mettre en place un système de DDA sans nuire à la fluidité de l’ensemble. En cas de mort, la partie reprend au niveau précédent. Tout est donc pensé pour mener le joueur au flow, et c’est plutôt efficace : malgré une simplicité de gameplay, les minutes passent très, très vite.

Réussir à intégrer pleinement le flow dans les jeux vidéo est donc un objectif réalisable et très prometteur. L’immense majorité des détracteurs des jeux vidéo n’ont jamais eu une manette entre leurs mains, ce qui donne lieu à des critiques injustifiées, voire franchement ridicules ; accroître le nombre de joueurs en rendant les jeux plus accessibles ne pourra qu’être bénéfique à la perception qu’a la société du monde magique des loisirs vidéo-ludiques. Et le plus beau, c’est peut être que les joueurs aguerris ne pourront pas crier au scandale puisqu’eux aussi trouveront toujours une difficulté à la hauteur de leurs ambitions. Une communauté soudée, un média mature et reconnu comme tel… Voilà qui fait rêver.


  1. ASPII dit :

    Très bon article.
    J’ai l’impression, en revanche, que les listes ont foiré puisqu’elles ne s’affichent pas chez moi.
    Sinon, si je ne m’étais pas extrait du flow au lycée, je ne serais sans doute pas à Pipo. :3

    1. ASPII dit :

      Problème résolu.
      Thanks!

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