L’addiction aux jeux vidéo et son traitement par les médias. Illustration.

« Arrête de rester scotché devant l’écran, tu vas devenir accro ! »
Combien de fois avez-vous entendu cette phrase de la bouche de vos parents ? Cette idée d’une “addiction” aux jeux vidéo, largement diffusée par les médias, fait pourtant beaucoup moins l’unanimité dans le milieu médical. Dans cet article, nous remontons à la source de cette croyance commune en partant d’une intervention au journal télévisé.L’addiction aux jeux vidéo est-elle une réalité ? Nous examinons le problème à travers une analyse du traitement de ce phénomène par les médias.

L’addiction aux jeux vidéo expliquée par France 2

« Un écran peut vite vous rendre accro et vous faire perdre les réalités de la vie quotidienne. L’addiction à la vidéo, plus précisément aux jeux vidéo était au cœur d’un débat cette semaine à la Sorbonne. « Libé » nous parle ce matin de ce colloque consacré à la cyberdépendance. Les spécialistes parlent de conduite addictive qui concernerait 600 000 à 800 000 personnes chaque année en France, un phénomène plutôt préoccupant raconte le journal. L’an passé le service addictologie de l’hôpital Marmottan — c’est à Paris — a reçu 300 patients en consultation pour ce genre de problème. Souvent des jeunes qui passent leur journée derrière un écran à se goinfrer des « meuporg », explique le journal. »

Voilà la description des jeux vidéos généralement proposée par les médias français :
en jouant, on s’expose au risque d’une addiction dangereuse au point de « faire perdre les réalités de la vie quotidienne ». Les jeux vidéo sont donc dangereux ! C’est un avertissement que nous lance ici notre brave Nathanaël de Rincquesen ! La vidéo date mais reste très représentative de la manière dont le perçoivent les générations précédentes.

La manipulation des sources

Le journaliste cite un article de Libération paru le matin même.

Dans cet article du journaliste Victor Matet, il est expliqué qu’il n’est nullement question d’addiction comparable à celles que provoquent drogues dures ou alcool, mais de dépendance. C’est tout l’inverse du journal télévisé où l’animateur scande les mots « accro », « addiction », « préoccupant », « problème »…

“L’an passé, le service addictologie de l’hôpital Marmottan, c’est à Paris, a reçu 300 patients en consultation pour ce genre de problème”
Le présentateur ne cite ici qu’une partie du paragraphe du journal, déformant le sens du propos qu’il faut mettre en perspective : « Nous avons environ 300 consultations annuelles pour des problèmes de cyberdépendance », annonce Elizabeth Rossé, psychologue au sein de l’établissement, « quand le nombre de toxicomanes pris en charge avoisine les 2 000. Une façon de recadrer le débat. »

En effet, le chiffre de 2.000 consultations pour toxicomanie permet de voir l’abîme entre deux pratiques. D’un côté une pratique qui touche une écrasante majorité des jeunes (le jeu vidéo) et de l’autre, une pratique qui reste comparativement minoritaire. Par ailleurs, une consultation ne signifie pas nécessairement qu’il y aura traitement ou hospitalisation.

Les erreurs et déformations sont donc multiples et faites sur un ton qui se veut alarmiste, alors que l’article de Libération explique qu’il n’est « p]as question en effet pour les organisateurs de donner abusivement l’alerte, mais plutôt de dédramatiser »

La réalité scientifique

Remontons maintenant aux sources scientifiques de l’article. Une retransmission vidéo du colloque « Dépendance aux écrans. Et si on en parlait en famille » est disponible [ici.

L’addictologue précise que la dépendance aux jeux vidéo est en fait plus une « fuite de la réalité » et que les consultations concernent plus souvent « des parents, où il s’agit de les assurer dans leur position d’autorité ». Marc Valleur parle d’un phénomène qui pose un certain nombre de problèmes qui ne sont « pas de l’ordre de l’addiction ». Il s’agirait donc plus au final de problèmes exogènes aux jeux vidéo qui se cristalliseraient sur ce loisir chronophage. Le spécialise parle ainsi de « crise d’adolescence virtuelle ».

La source scientifique pure diffère encore de l’article de journal : celui-ci donnait une vision réduite d’un phénomène qui certes existe, mais demeure « mineur par rapport à une pratique très répandue ». Le visionnage du colloque nous apprend que contrairement à ce qui apparaît dans l’article, la question de l’existence d’une addiction aux jeux vidéo est encore en suspens.

Quand on compare les sources scientifiques et le journal télévisé, la flagrante déformation d’information fait assez peur… Et au final, il n’existe pas d’addiction prouvée. Les jeux vidéo, c’est comme tout dans la vie, c’est l’abus qui est mauvais.


  1. Potache~ dit :

    Intéressant car peu de gens en parlent et quand ils en parlent, comme vous le montrez, il le font plutôt mal. Cependant, vous ne distinguez pas les jeux vidéos, alors qu’une différence est fondamentale pour la question de la dépendance : savoir s’il s’agit d’un MMO ou non. Et notamment d’un MMORPG (comme France 2 le présente si maladroitement – et le mot est faible). Jouer à un jeu solo, en rentrant complètement dans l’univers, peut pousser à jouer beaucoup, pour avancer dans l’histoire, progresser et tout autre système de level up palpitant. Mais dans le cas d’un MMO, ce n’est plus qu’un simple jeu vidéo puisqu’il y a une certaine forme de vie sociale au sein du jeu qui fait que le joueur vit d’autant plus son personnage : il interagit avec d’autres, se fait des amis, obtient une certaine forme de reconnaissance pour le temps qu’il passe à jouer puisqu’il voit que les autres le voient. Il peut donc y avoir une certaine “addiction” encore que je ne suis pas sûr que le mot soit bon dans la mesure où il s’agit presque d’une autre vie, qui illustrerait le lien avec la crise d’adolescence. On fuit le réel déplaisant où trop de question nous assaillent pour se plonger dans le virtuel où chacun peut réussir tant qu’il y passe du temps.

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