Game Story : le jeu vidéo vu par le Grand Palais

Dès que j’ai vu l’affiche dans le métro, un jour avant l’ouverture, je savais que je devais y aller au plus vite. Et ensuite, je me suis souvenu des exposés que j’avais à faire et j’ai du retarder indéfiniment ma visite. Mais enfin, j’ai trouvé le temps d’y aller, et j’ai donc passé les portes du grand palais pour me ruer vers les jeux exposés. Autant vous dire que cette exposition représente pour moi beaucoup, puisqu’elle permet une reconnaissance du jeu vidéo par l’un des plus prestigieux musées de la capitale. Mais le résultat est-il à la hauteur de la tache ?Ça n’a certainement échappé à personne, le Grand Palais expose en ce moment même et jusqu’au 9 janvier Game Story, une exposition sur le jeu vidéo. Je me suis sacrifié pour vous et j’y suis allé. Réactions.

Une exposition pour nostalgeeks

Quand on entre, il faut avouer que c’est bien fait : la salle consacrée à Pong est agréable, assez bien faite, et surtout, nous montre une superbe table années 70 avec le jeu dessus, de quoi rappeler que design et jeu vidéo ne sont pas incompatibles, bien au contraire ! On est chauffés, on se fait une petite partie pour se mettre dans l’optique jeu vidéo et on y va, contents : on a joué à Pong, la suite ne peut être que bonne.

Ensuite, c’est surprise sur surprise, enfin c’est pas non plus comme si les jeux présentés pouvaient ne pas être là, mais on a quand même une larme à l’œil en voyant le premier Zelda, et en y jouant même ! Ce qui est agréable, c’est qu’on retrouve assez vite les contrôles : c’est comme le vélo, ça ne s’oublie jamais vraiment. Bref, on est heureux : au niveau de la nostalgie, l’expo tient son pari : on se souvient des soirées passées sur ces chefs d’œuvres, et l’on se prosterne devant ces jeux dont on a seulement entendu parler, mais dont on sait qu’ils ont fait le jeu vidéo.

 

Une vraie exposition ou juste un “accrochage” ?

Mais ça ne suffit pas. Pour une exposition qui se pique d’expliquer le jeu vidéo, c’est incomplet. Les explications d’abord, manquent (ou alors elles sont très discrètes et très bien cachées) : on cherche désespérément les histoires de ces jeux, leurs anecdotes, les avis, leur succès, leurs erreurs… Mais l’on ne trouve rien. Les jeux sont là, on y joue, mais on n’apprend rien, certes, on a accès à des jeux qui ne sont plus disponibles dans le commerce, mais l’intérêt s’arrête là. On est content de jouer, mais au niveau de l’apprentissage et de la muséographie, c’est, disons le, assez mauvais.

 

Tous les jeux ?

Puis vient la deuxième partie de l’exposition : et là, c’est le drame. Bien sûr, on ne demande pas au Grand Palais de tout montrer, ce serait impossible, mais ils pourraient au moins avoir la gentillesse de nous monter de beaux jeux. Parce que là, le jeu vidéo est cantonné à son seul gameplay : exit la création, le travail, les étapes. Alors oui, Counter Strike, Fifa et WoW étaient indispensables : ils ont marqué l’expérience de jeu de façon durable, chacun à leur façon ; mais Virtual Tennis, déjà c’est plus douteux. Alors, oui, montrer la wii était impératif, mais était-ce nécessaire d’en mettre trois ? Et avec un jeu de maracasses !! Franchement, j’ai du mal à saisir l’intérêt.

 

Tout du jeu ?

C’est la plus grande partie du jeu vidéo qui est mise de côté avec cette exposition : exit les chefs-d’œuvres comme Portal, Rez (on les remercie d’avoir mis Eden, la suite spirituelle de ce dernier, et probablement le seul véritable chef-d’ œuvre graphique de l’exposition) : on entre dans une logique contre-productive, puisque le jeu vidéo est présenté comme un moyen de s’occuper quelques minutes. Pas un mot sur la complexité des scénarios : on prend un jeu là où il a été laissé par la personne avant nous, on ne connait pas le personnage, les ennemis, et en plus, vu la salle minuscule vu les nécessités d’espace du sujet, on n’arrête pas d’être bousculé (pire, vous avez déjà essayé d’utiliser la kinect avec des gens qui passent derrière ?). Pas un mot non plus de l’acte de création : les jeux sont là, finis, mais l’on ne sait pas d’où ils viennent.

En toute logique d’ailleurs, le grand absent de l’exposition est le RPG, alors que c’est à mon avis l’un des genres les plus importants : le plus immersif, le plus complet, le plus humain aussi, puisqu’il est souvent reproché au jeu vidéo son caractère violent et impersonnel. Pas le temps pour ça, tout est plat : pas de scénario, pas de musique (sauf pour Dance Dance mais ça compte pas vraiment), en clair, un jeu vidéo purement divertissant, tout public (je continue de penser que GTA n’est vraiment pas un jeu inaccessible aux enfants en bas âge), pas de jeux de genres bien définis et bien sentis type Amnesia ou Dead Space. Et alors qu’on pourrait se dire que l’exposition insiste uniquement sur les immenses avancées du jeu vidéo (Dance Dance hum…), quid, par exemple, de Fallout, premier du nom, souvent imité jamais égalé : si un jeu qui, en 1997 offre plus de possibilités que tous les RPGs depuis (on peut devenir un mafieux, un justicier, jouer dans un porno, devenir réalisateur…) n’est pas une évolution assez conséquente pour être montré, laquelle le sera ?

 

Une exposition incomplète

Game Story veut nous montrer une histoire du jeu vidéo. L’initiative est bonne. Je l’ai dit plus haut, on apprécie de revoir ces piliers, ces légendes, il est compréhensible que les jeux vidéo récents soient absents (kinect et wii, 3DS monopolisent pourtant presque les deux dernières salles…). Mais ma critique principale porte surtout sur l’idée de base : certes, il est important de faire jouer les gens, mais ce n’est pas tout : on oublie le monde qui s’est construit autour de cette culture, et qui est parfois aussi (voire plus) important que la culture elle-même, on oublie ce qui l’a construit. Une exposition de jeux vidéo digne de ce nom devrait contenir des interviews, des vidéos, des musiques, des dessins, des maquettes… Il faudrait penser à dépasser cette dimension assez démagogique, qui revient à nous laisser les miettes, à dire “Bon, d’accord, on vous accepte comme faisant partie de la culture, mais prenez pas trop de place, restez dans votre coin et ne débordez pas.” Et bien non ! Comme les autres arts, le jeu vidéo est lié aux autres (lire à ce sujet l’article sur Rez et Kandinsky dans le IG du début de l’été dernier), il n’y a aucune raison qu’il reste dans son coin.

 
 

Tout ça fait exposition bâclée, un peu comme un exposé préparé le matin même entre 2 et 5 heures du matin pour un cours à huit heures : il manque tout. On oublie l’essentiel : certes, le Grand Palais peut maintenant se targuer d’être ouvert sur la culture contemporaine, “On aime les jeunes, on est jeune” semble nous crier avec un manque de subtilité épouvantable le magnifique musée. “Faites mieux !” ai-je envie de leur crier en retour, sortez de l’artificiel, de la caricature, du casual, arrêtez de prendre de faux airs d’ouverture, ouvrez vous, arrêtez d’essayer de cacher vos préjugés, assumez-les ou grandissez : arrêtez de faire semblant ou faites nous une vraie exposition de jeux vidéo !