En finir avec les clichés sur les geeks
Regardez-vous la télévision ? Êtes vous submergé par l’émotion chaque fois que vous voyez Gilles Bouleau lancer son JT ? Ebloui par le charisme et la dentition de Laurent Delahousse pendant vos repas ? Si oui, vous avez probablement déjà vu un de ces nombreux reportages concernant les méfaits des jeux vidéo sur les jeunes.
Mais oui, vous savez bien, ces petits jeunes, pâles et banals, qui ne vont plus à l’école et s’enferment dans leur chambre pour jouer à des jeux violents. Devenus accros, ils se terrent dans leurs tanières, se nourrissant seulement de lait et de pizzas, si absorbés par leur jeu que seule la coupure de leur connexion Internet pourrait les faire sortir
La violence et l’immoralité de leurs jeux se reflètent sur leur personnalité. A l’image de ce qui constitue leur drogue, ils deviennent agressifs, asociaux et moches.
Comment on les appelle ces énergumènes déjà ? Ah oui, des geeks.
Evidemment, cette description de ceux que l’on nomme communément « geek » est largement exagérée. Tout le monde sait que se fier aux clichés, c’est faire preuve d’intolérance et d’étroitesse d’esprit. S’intéresser à la culture des autres et accepter la différence, ça c’est cool. Même Nadine Morano le dit : elle a une amie plus noire que noire, et elle aime le couscous et les bricks à l’oeuf ! Quelle meilleure preuve de la tolérance et du respect humain ?
Oui mais voilà le problème chers amis : bien que l’on ne cesse de faire la chasse aux clichés, beaucoup perdurent. Pour reprendre l’exemple du « geek », on a encore trop souvent tendance à le dépeindre comme un mâle binoclard-boutonneux-obèse-fan de jeux vidéo-fan de mangas-avec-des-cheveux-gras. Le principal but de cet article sera de mettre à bas les clichés sur les personnes que l’on nomme injustement « geek » sous prétexte qu’ils/elles s’intéressent d’un peu trop près aux cultures numérique, vidéo-ludique, japonaise, etc.
Un exemple de geek des temps modernes : le seul et unique Orelsan
Le rap, ça vous parle ? J’entends déjà les réactions diverses et variées derrière les écrans : « Non le rap c’est pour les boloss », « Je préfère les 4 saisons de Vivaldi », « Death to all but metal », « Fouiny Baby et B2O forever »…
Nonobstant votre affinité pour le rap (j’ai toujours rêvé de placer « nonobstant » dans un texte), je vais ici vous parler d’un cas qui me permettra d’extrapoler sur l’idée générale de cet article, à savoir que le fait de s’intéresser à ce qu’on appelle la culture « geek » n’est pas forcément incompatible avec les concepts de reconnaissance, de célébrité, voire même (soyons fous) de bogossitude.
Pour ceux qui ne le connaissent pas, Orelsan est un rappeur français, originaire de Caen, qui a sorti deux albums solos, puis plus récemment un album-concept avec son meilleur ami, Gringe, sous le nom de groupe de Casseurs Flowters (en référence aux deux méchants dans Maman j’ai raté l’avion). Il est notamment connu pour ses punchlines qui envoient du très lourd, mais aussi pour avoir eu quelques problèmes avec la justice, notamment après la diffusion d’une de ses chansons sobrement intitulé Sale pute qui a fait scandale du côté des féministes.
Au-delà de la polémique, ses trois albums ont été unanimement applaudis par la critique, car perçus comme le reflet d’une société de jeunes paumés vue à travers le regard d’un jeune paumé. Orelsan, un sociologue des temps modernes donc. Ses morceaux tournent généralement autour de trois thèmes : les filles, l’alcool et le rejet par la société. Pour les meilleurs, citons « Changement », « Jimmy Punchline »,« La peur de l’échec ». A partir de son deuxième album, il a commencé à écrire sur des thèmes plus matures, notamment l’hypocrisie de la société (« Le chant des sirènes », « Suicide Social ») voire la mort (« Elle viendra quand même ».). Arrivé ici, vous vous dites probablement : « Je m’en bats les steaks de ce qu’il me raconte, c’est quoi le rapport avec les geeks et la bogossitude ? ».
Ah bah voilà, lui il ressemble déjà plus au geek que j’ai vu sur TF1 hier soir.
Le rapport, ladies and gentlemen, vient du fait qu’Orelsan se considère et s’est toujours considéré comme un geek. Fan de mangas, son enfance a été bercée, entre autres, par Dragon Ball, Saint Seiya et Metal Gear Solid (vous noterez d’ailleurs que son nom de scène est un mix entre son prénom, Aurélien, et le suffixe « -san » que les Japonais utilisent après le nom de leur interlocuteur comme marque de politesse). Certaines de ses chansons sont d’ailleurs bourrées de références à la culture geek, il suffit par exemple de regarder le clip d’une de ses chansons les plus connues, « Ils sont cools », pour s’en rendre compte.
Où est passé l’infâme geek cloîtré dans son antre ? Où est passé le boutonneux aux cheveux gras ? Où est passé Grégory, ce drôle mais insupportable garçon qui en a fait voir des vertes et des pas mûres à son cher Jean-François ?
Grégory et Jean-François au supermarché, à regarder absolument.
Bref, l’exemple d’Orelsan prouve que geek ne rime pas forcément avec asociabilité, lunettes et manque de swag. (Les geeks ne vont cependant pas tous boire des bières au kebab du coin, ne prenez pas Orelsan comme un modèle universel du geek).
Mais alors c’est quoi un geek ?
Jusque là, je pense que je ne vous apprends pas grand-chose. Evidemment que vous savez très bien qu’un geek peut être sortable, drôle voire même avoir un certain charisme. Le problème est que beaucoup de gens, dont vous faites peut être parti, utilisent le mot « geek » à tort et à travers et de fait, vont catégoriser toute personne qui joue aux jeux vidéos ou lis des mangas comme étant un geek.
Si on se base sur cette définition, on se rend vite compte que :
– 1) 70 % de la population française est composée de geeks.
– 2) Les geeks dominent le monde.
– 3) Vous êtes peut-être un geek sans le savoir !
Vous l’imaginez comme président de la République ? Moi non plus.
Il est donc urgent de revoir notre définition du geek. Il y a 20 ans, les geeks représentaient une communauté minoritaire de personnes spécialisées dans un domaine qui, pour l’époque, semblait obscur (l’informatique et la programmation par exemple). Mais les temps ont changé : tout le monde a un ordinateur connecté à Internet, beaucoup d’entre vous ont déjà joué à des jeux vidéo et maîtrisent plus ou moins le pack Office. Vous pensez que ça suffit à faire de vous des geeks ?
Alors pour en finir avec les clichés sur les geeks, pourquoi ne pas laisser les gens se définir eux-même comme étant ou n’étant pas un geek ? Chacun en a sa propre vision et la nature humaine veut qu’on n’arrivera jamais à se mettre d’accord sur une unique définition, alors autant se la jouer démocratie et laisser chacun exprimer son point de vue.
Ah, petite précision pour rappeler un détail que BEAUCOUP de gens oublient trop souvent (moi aussi malheureusement- personne n’est parfait) : les geeks ont besoin de se reproduire pour perdurer, et pour ça il leur faut des geekettes. Blagounette à part, vous serez sûrement surpris d’apprendre que les femmes représentent 48% des gamers dans le monde en 2014. Oui vous avez bien lu, 48%. En plus d’instaurer une certaine parité, les geeks au féminin apportent un vent de fraîcheur non négligeable dans un monde resté trop longtemps majoritairement masculin. En tant qu’homme viril et poilu, je ne peux que les remercier.
Et à Sciences Po alors ?
Dernier point sur lequel je voudrais m’attarder : la place des geeks à Sciences Po. Me considérant comme un geek, je n’ai eu l’occasion de vraiment partager ma passion des jeux vidéo qu’en rentrant en contact avec les membres d’Espace Numérique, association que j’ai découverte (et rejoint) cette année… en 4A. Jusque ici, je n’osais pas trop parler de jeux vidéo à Sciences Po, tout simplement parce que je pensais que les Science-Pistes préféraient débattre du programme économique de Jacques Cheminade que de la fin de Bioshock Infinite. Il est vrai que beaucoup de gens voient encore la culture geek d’un œil méfiant, mais cette tendance est en train de s’inverser, lentement mais sûrement.
Les jeux vidéo grand public, sur mobile notamment, permettent aux casual gamers de découvrir le monde du jeu vidéo. Alors oui, les casual gamers, ou casu, sont assez mal vus par la communauté des hardcore gamers, mais personnellement je préfère que les gens jouent à Candy Crush, découvrent que les jeux vidéo c’est cool et passent aux jeux consoles et PC, plutôt que de penser que les jeux vidéo rendent violents.
Bref, la démocratisation des jeux vidéo pourrait bien permettre à la communauté geek de Sciences Po de sortir de l’ombre en avortant leur peur d’avoir des centres d’intérêt différents. Sortez de vos tanières chers joueurs ! Le rôle d’Espace Numérique est d’ailleurs à la fois de souder et faire vivre la communauté de geeks déjà existante, et de diffuser plus largement la culture numérique et vidéo-ludique à Sciences Po. Pour ma part, je compte m’investir à fond afin de réveiller le geek qui sommeille en vous.
Alex Khafi