Choisir pour mieux souffrir : Les jeux à choix moraux

Where I end and you begin

Ca y est, c’est fini. Après des mois de tension, d’abnégation et d’émotion, la saison 2 du jeu vidéo The Walking Dead, développé par Telltale, s’est terminée il y a peu. Alors même que le lancement de la saison 5 de la série télévisée est sur toutes les lèvres, on parle beaucoup moins du final bouleversant d’une saison qui, même si elle a déçu sur certains points, n’en reste pas moins un grand cru qui aura fait couler les larmes de plus d’un coeur d’artichaut.

Je ne vais pas ici vous faire un exposé de toutes les raisons qui devraient pousser ceux qui ne l’auraient pas fait à se jeter sur les deux saisons du jeu The Walking Dead. Les personnes qui s’intéressent un tant soit peu à la culture vidéo-ludique ont probablement déjà entendu parler de ces jeux et du nouveau genre dont ils font partie. Cet article s’adresse donc (comme le précédent) en priorité à tous ceux qui pensent que les jeux vidéo se limitent à « des jeux dans lesquels tu fais pan-pan et tu tues plein de gens et tu niques la police et tu es un gangsta. ». Je caricature ? Pourtant, regardez ce qu’on entend de nos jours, sur une radio publique rassemblant des millions d’auditeurs par jour.

A toutes ces personnes, en espérant qu’elles aient un minimum d’esprit critique pour écouter un point de vue différent du leur, j’aimerais démontrer que le jeu vidéo est, tout comme le cinéma et la littérature chéris de l’opinion publique, une forme d’art, et qu’à l’instar de ces derniers, il possède ses propres chefs d’oeuvre.

Cinéma, littérature et jeux vidéos : même combat ?

 

Jouons à un petit jeu : grâce à un sondage totalement imaginé par mes soins, demandons aux gens ce qu’ils aiment ou regrettent le plus dans le cinéma et la littérature, et essayons de trouver les ressemblances et différences entre ces derniers et les jeux vidéo:

– Robert, 22 ans : «Ce que j’aime vraiment, c’est les films qui racontent une histoire et qui mettent en scène des personnages charismatiques à qui on peut facilement s’identifier. Sérieux j’ai trop pleuré quand la mère de Bambi est morte. :'( ».

– Aboubakahr, 30 ans : « Une des choses que je regrette, que ce soit dans la littérature ou le cinéma, c’est que les personnages sont parfois un peu naïfs voire bêtes. Il m’est arrivé plusieurs fois de deviner la fin d’un film dès les 20 premières minutes tellement l’histoire était convenue et prévisible. A partir de ce moment là, vous êtes fini : peu importe combien de fois vous regardez le film ou relisez le livre, l’histoire sera toujours la même, tout comme les réactions des personnages ne changeront pas.

– Jacky, 57 ans : « Wsh lé keum moi jkiff kan ya de laction paske ok c cool lé film ki fon plerer mé bon dé foi fo kan mèm ke sa bouge kom dan Terminataure ou Batman ze dark night. »

Qu’est ce qui ressort des réponses de Robert, Aboubakhar et Jacky ? Premièrement, et c’est ce qui reste pour moi la caractéristique la plus importante, toute œuvre qui se respecte se doit de raconter une histoire à son public. Une histoire qui leur retourne les tripes, qui les fait réfléchir, qui, après être sorti de la salle de cinéma ou avoir refermé leur livre, béats d’admiration, ne peut leur faire lâcher aucun autre mot pour résumer le chef d’œuvre qu’ils viennent de terminer que : « Wouah. ».

Deuxièmement, et ce peu importe le degré de perfection que peuvent atteindre un livre ou un film, il leur manquera toujours une notion d’interactivité qui, si elle avait existé, aurait permis au spectateur ou au lecteur de changer le cours de l’histoire et éviter la fatalité d’une fin qui sera de toutes façons la même pour tout le monde. Qui n’a jamais rêvé de pouvoir changer la fin de Jurassic Park et de faire gagner les dinosaures contre la méchante équipe de chercheurs ? Qui n’a jamais rêvé de prendre les rênes de l’histoire de Game of Thrones et de faire disparaître ce petit sadique de Joffrey Baratheon dès la première saison ? Ainsi, on a souvent l’impression de subir l’histoire plutôt que de vraiment la vivre.

Enfin, n’oublions pas l’argument du vieux Jacky : l’émotion c’est bien, mais il faut quand même qu’il y ait un peu d’action. On n’est pas dans Madame Bovary.

Les jeux à choix moraux

 

Bon ok, et alors ? C’est vrai qu’il n’y a aucune interactivité dans les films/livres, mais vous pouvez sûrement me citer des œuvres qui sont à la fois prenantes et divertissantes. Eh bien moi, je vais vous parler de jeux qui sont à la fois prenants, divertissants ET interactifs. J’ai nommé les jeux à choix moraux.

Ce que j’appelle « jeux à choix moraux », ce sont des jeux dans lesquels le joueur pourra effectuer, à la place du héros, des choix qui influeront sur les relations du personnage principal avec les autres personnages, mais aussi sur l’histoire. J’ai parlé de The Walking Dead au début de cet article : un choix qui revient souvent dans ce jeu consiste à décider de sauver tel ou tel personnage, sachant que celui que vous n’aiderez pas sera probablement tué. Et c’est ici que la dimension de choix prend tout son sens. Imaginez : vous jouez à the Walking Dead, vous incarnez le personnage principal de l’histoire qui fait parti d’un groupe de survivants, comme dans la série et les comics. Soudain des zombies vous attaquent, et deux personnes de votre groupe sont sur le point de se faire mordre : votre ami d’enfance qui vous a plusieurs fois sauvé la vie, ou une femme que vous détestez et qui vous déteste, mais qui est enceinte. Le temps se ralentit alors dans le jeu. Vous avez 10 secondes pour effectuer votre choix : qui sauver ?

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Cet homme s’est introduit dans votre camp. Qu’allez vous faire ? Vous avez 10 secondes.

Voilà typiquement le genre de décisions que vous aurez à prendre dans les jeux à choix moraux. Ce qui fait l’intérêt de ce genre de jeu, c’est que vous devrez prendre une décision difficile en un temps très limité. Vous aurez très peu de temps pour réfléchir à la meilleure possibilité et serez ainsi plus enclin à faire parler vos sentiments, quitte à regretter votre choix tout de suite après. Ainsi, chaque personne réagira différemment face à un dilemme en fonction de sa sensibilité, de son sang-froid ou de l’affinité qu’elle a avec les autres personnages. A la fin de chaque chapitre, différents graphiques vous montreront les choix des autres joueurs, vous permettant de voir si vous vous situez dans la moyenne (ici par exemple, vous auriez quelque chose comme « 65 % des joueurs ont sauvé la femme enceinte ».). Selon les choix que vous aurez effectués, les autres personnages vous verront différemment. Si vous sauvez la femme enceinte, certains personnages vous admireront pour ne pas vous être laissé dominer par vos sentiments, alors que d’autres vous reprocheront d’être indigne de confiance en ayant laissé mourir votre meilleur ami, et vice-versa.

Cela m’amène à un autre aspect de ce genre de jeu : il n’y a pas de bon ou de mauvais choix. Peu importe ce que vous décidez, la fatalité fera qu’il y aura toujours des embrouilles et des morts. Ainsi on ne peut pas faire de partie « parfaite ». Vous contrôlez les relations de votre héros avec les autres personnages. Vous pouvez ainsi décider de vous rapprocher de ceux qui sont les plus aptes à survivre afin qu’ils vous sauvent la mise plus tard dans une situation difficile, ou au contraire décider de protéger les plus faibles quitte à ralentir tout le groupe et à risquer la vie de certains. Encore une fois, tout est une question de sensibilité, d’affinité et d’esprit, et c’est bien pour cela que je dis que ces jeux sont à choix moraux.

Bien que ce genre soit des plus récents, la présence d’une dimension de choix moral influençant le déroulement de l’histoire est un phénomène qui ne date pas d’aujourd’hui. En effet, on pouvait déjà effectuer des choix de ce genre dans Fahrenheit, le deuxième jeu du studio français Quantic Dream à l’origine du fameux Heavy Rain (premier exemple qui me vient à l’esprit, la notion de choix est probablement apparue avant). Ce studio et son créateur, David Cage, font d’ailleurs partie des précurseurs dans le domaine de l’interactivité entre le joueur et le jeu, Fahrenheit ayant presque 10 ans.

Un genre qui permettrait d’ouvrir le monde du jeu vidéo aux plus récalcitrants ?

Je l’ai déjà dit dans mon article précédent, mais beaucoup de personnes ont d’énormes clichés sur les jeux vidéo. Parler de ce que vous aimez avec eux peut alors devenir une véritable épreuve tant certains se bornent à penser qu’on ne peut rien tirer de bon de vos consoles (cf Nagui et Laure Manaudou plus haut). Plutôt que de s’énerver contre eux et les troller inutilement, essayons de comprendre pourquoi ces personnes ont une si mauvaise image des jeux vidéo. Dans l’extrait plus haut, Laure Manaudou dit « Je préfère que mes enfants aillent jouer dehors plutôt qu’ils s’enferment devant la télé. ». Oui, mais alors regarder un film ou une série revient aussi à s’enfermer devant son écran, tout comme lire un livre revient à s’isoler des autres. Personnellement, je pense que le problème vient plutôt de l’image qu’à le jeu vidéo aujourd’hui : lire un livre ou regarder un film ne choque pas car les deux sont reconnus comme étant une forme d’art. Et comme toute forme d’art, le cinéma et la littérature possèdent leurs chefs d’oeuvre. Vous avez forcément déjà entendu quelqu’un dire quelque chose comme « 2001, l’Odyssée de l’espace est un chef d’oeuvre du 7e art. ». Le 7e art, c’est le cinéma évidemment. Il y a officiellement sept arts, chacun ayant été classifié dans un livre par le Français Etienne Souriau : dans l’ordre la sculpture/architecture, le dessin, la peinture, la musique, la danse, la littérature et enfin le cinéma/la photographie (merci Wikipédia). Si on suit ce raisonnement, tout ce que vous pouvez faire ayant un rapport avec l’un de ces domaines sera considéré comme de l’art. On a ainsi parfois eu droit à de véritables perles qui auraient fait rougir de plaisir (ou de honte ?) les artistes des temps passés.

Donc le jeu vidéo aurait une mauvaise image parce qu’il n’est pas considéré comme un art ? Je pense que c’est malheureusement l’une des raisons principales qui pousse beaucoup de gens à clasher fortement tout ce qui a trait à la culture vidéo-ludique. C’est d’autant plus malheureux que le jeu vidéo a depuis longtemps fait ses preuves comme étant une forme d’art à part entière, en nous gratifiant de chefs d’oeuvre tels que Final Fantasy 7, Metal Gear Solid, The Last of Us ou bien The Walking Dead, sujet initial dont j’ai d’ailleurs un peu dévié. Enfin pas tant dévié que ça, puisqu’il y a quand même un lien entre les jeux à choix moraux et la mauvaise image du jeu vidéo. En effet, je peux comprendre que des gens n’ayant jamais touché à une manette de leur vie pourront être rebutés par la jouabilité d’un Final Fantasy, d’un Catherine et même plus généralement de la plupart des jeux. Il faut un minimum de temps pour s’habituer aux contrôles si c’est notre première fois, j’en conviens. Ce n’est cependant pas le cas des jeux à choix moraux du studio Telltale : il suffit de diriger son personnage avec le joystick gauche et d’appuyer sur un bouton à chaque fois qu’un choix se présente. On peut difficilement faire plus simple. Ajoutez à cela le fait que la mise en scène, les relations entre les personnages et les choix permanents renforcent l’immersion du joueur en rapprochant le jeu d’un film interactif, et voilà que nous avons peut-être trouvé le moyen de faire aimer le jeu vidéo au plus grand nombre.

Je lance donc un appel à tous ceux qui méprisent sans raison les jeux vidéo : essayez juste une fois dans votre vie de jouer à un jeu à choix moraux. Au pire, vous perdrez 15€. Au mieux, vous vous rendrez compte que vous avez fait le con et êtes passé à côté de chefs d’oeuvre exceptionnels toute votre vie.

Okay tu m’as convaincu BG. Mais j’ai peur des zombies, alors je joue à quoi ?

Si ce petit texte a permis à au moins une personne débectant aveuglément les jeux vidéo de se dire « Bon pourquoi ne pas essayer ? », j’aurai gagné ma journée. Dans ce cas là sachez que, bien que je ne parle que de ça depuis le début, the Walking Dead n’est pas le seul jeu à choix moraux qui vaille la peine d’être essayé. Si vous n’aimez pas trop les faces en putréfaction de zombies mangeurs de cerveaux, vous pouvez essayer un autre grand jeu du grand studio Telltale, j’ai nommé « The Wolf Among Us », préquelle de la saga de comics « Fables ». Vous connaissez la série « Once Upon A Time » qui passe sur M6 ? Eh bien les scénaristes ont pompé sans vergogne le scénario de Fables, et donc de The Wolf Among Us : des personnages issus des contes de fées se retrouvent bloqués à New York sous forme humaine et doivent s’adapter. Dans The Wolf Among Us, vous contrôlez Bigby, anciennement le grand méchant loup, qui doit enquêter sur des meurtres ayant lieu à Fableville, le quartier où tous les personnages de contes de fées ont trouvé refuge. Vous serez aidé de Blanche Neige et croiserez tout un tas de personnages de contes qui vous évoqueront de plus ou moins vagues souvenirs, de Barbe Bleue à Ichabod Crane (le personnage principal de Sleepy Hollow).

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The Wolf Among Us privilégie l’enquête : vos choix vous rapprocheront plus ou moins de la piste du tueur mystérieux de Fableville.

Voilà donc pour les deux jeux à choix moraux les plus accessibles auxquels vous pourrez jouer. Si, après les avoir essayé, vous vous découvrez une fascination pour le jeu vidéo et en voulez encore, je peux vous conseiller d’autres jeux un peu moins faciles d’accès mais qui vous procureront autant d’émotion que les deux précédents. Dans l’ordre de « facilité d’accès » : Heavy Rain, Beyond : Two Souls, Mass Effect 1, 2 et 3, Fallout 3, Fallout New Vegas, The Witcher 1 et 2… Il y en a probablement d’autres, mais cet article s’adresse en priorité aux néophytes, donc je pense que ça suffira.

TL ; DR

Que dire pour résumer cet article à ceux qui auraient eu la flemme de le lire et seraient directement passé à la conclusion ? Le jeu vidéo souffre d’une mauvaise image totalement injustifiée. La plupart de ses détracteurs n’ayant jamais tenu une manette de leur vie, la solution serait de les pousser à jouer afin de leur prouver que le jeu vidéo n’est pas le Némésis qu’ils imaginent et qu’il peut être, à l’instar du cinéma et de la littérature, considéré comme une forme d’art. C’est là qu’interviennent les jeux à choix moraux : des jeux faciles à prendre en main, donc accessibles au plus grand nombre, qui impliquent fortement le joueur grâce à un système de choix cruciaux et une mise en scène cinématographique captivante. Ainsi, à tous ceux que j’aurai convaincu je dirai ceci : retenez les noms de The Walking Dead, The Wolf Among Us, et à la limite Heavy Rain, foncez les acheter, et kiffez votre race.

Alex Khafi