Beyond : Two Souls, quand le jeu vidéo sublime le cinéma

Beyond : Two Souls, le nouveau bébé de David Cage, est arrivé dans les bacs le 9 octobre. Que vaut vraiment cet hybride entre jeu vidéo et film ?

David Cage, notre réalisateur et développeur national signe en cette fin d’année 2013 son nouveau joujou. Hybride entre jeu vidéo et film, il se définit sur le dos de la boîte comme un « thriller d’action psychologique haletant ». Le moins qu’on puisse dire, c’est que M. Cage y a mis les moyens nécessaires. Vous pourrez donc retrouver au casting Ellen Page et Willem Dafoe, ou tout du moins leurs reproductions virtuelles, générées par motion capture. Au total, le « jeu » aurait coûté la modique somme de 27 millions de dollars. Ses détracteurs lui reprocheront qu’à ce prix-là, il aurait mieux valu en faire un vrai film. Pourtant, il y a dans Beyond : Two Souls quelque chose qui dépasse le cinéma, rendu possible justement par le support sur lequel il se trouve.

Beyond Two Souls

Une journée de tournage normale chez David Cage

Un véritable film interactif

Ce qu’il faut bien comprendre avec Beyond : Two Souls, aussi bien qu’avec Heavy Rain – son prédécesseur, c’est que plus qu’un jeu classique, c’est bien un hybride de film qui s’offre à nous. Les plus observateurs d’entre vous auront pu remarquer les bandes-annonces au cinéma, ou le fait que le jeu ait sa propre fiche sur Allociné et IMDb. Du coup, il ne faut pas s’attendre à un monstre de gameplay, vos actions se limitent le plus souvent à de simples choix de cinématiques ou à des actions contextuelles pour mener à bien les divers combats qui peuvent survenir. C’est donc le scénario et l’ambiance qui vont primer, comme dans un film, et de ce point de vue-là, on peut dire que c’est réussi. Le jeu nous invite à suivre Jodie Holmes (Ellen Page), jeune fille accompagnée en permanence d’Aiden, une sorte d’esprit possédant sa propre volonté et pouvant interagir avec le monde, et ce tout au long de sa vie. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que tout n’est pas rose quand on possède ce genre de pouvoir : vous vivrez bien des mésaventures, même lors de scènes anodines comme un simple anniversaire.

Et c’est bien là l’une des grandes forces de Beyond : Two Souls, son rythme. Malgré l’absence de gameplay intéressant, on ne s’ennuie pas, tant on s’attache à la figure de Jodie. On prend véritablement plaisir à la voir évoluer tout au long de sa vie. Techniquement, le jeu n’est également pas en reste, offrant ce que la PS3 en fin de vie a de meilleur. Pour autant, la véritable prouesse de ce jeu se trouve au-delà de ses qualités objectives.

Beyond : Two Souls, le seul jeu qui a sa propre fiche chez Allociné

Beyond : Two Souls, le seul jeu qui a sa propre fiche chez Allociné

Des innovations rendues possibles par le support

Là où le jeu vidéo diffère du cinéma, c’est qu’il implique véritablement le spectateur dans le personnage. Un film où un soldat tue des civils, c’est choquant mais sans plus. Un jeu où l’on est dans la peau d’un soldat devant tuer des civils, ça pose nettement plus de problèmes, et c’est même l’objet d’une célèbre polémique impliquant Call of Duty : Modern Warfare 2. Du coup, le fait de contrôler Jodie et Aiden amène à un processus d’identification bien plus fort. Concrètement, Aiden ne parle pas, n’a pas de forme et on ne le contrôle qu’à la première personne… Et pourtant, cela le rend attachant. C’est là que le jeu vidéo se montre pertinent, un personnage comme Aiden n’aurait jamais pu exister dans le cadre d’un film.

En outre, la narration est trop particulière pour être assimilée à celle d’un simple film. Les différents moments de la vie de Jodie sont divisés en chapitres que l’on ne joue absolument pas dans l’ordre chronologique. Ce qui serait vu comme une énorme erreur dans un film passe ici particulièrement bien vu que l’on n’est pas obligé de finir le jeu d’une traite. On divise nos sessions de jeu en fonction des chapitres, et Jodie n’en est que plus énigmatique et attachante.

Jodie, un personnage attachant et modélisé par Ellen Page

Jodie, un personnage attachant et modélisé par Ellen Page

Un bilan à nuancer

Cependant, malgré toutes ces qualités, il subsiste quelques défauts qui empêchent Beyond : Two Souls d’être le chef-d’œuvre que l’on était en droit d’attendre. Premièrement, les choix qu’effectue le joueur ont finalement peu d’incidence sur le déroulement de l’histoire, ce qui n’était pas le cas dans Heavy Rain par exemple. La faute à la narration particulière évoquée plus haut. Puisqu’on ne joue pas les séquences dans un ordre chronologique, il est normal que nos choix dans une séquence du passé n’influencent pas une séquence future que l’on aurait déjà jouée, simple question de cohérence. Du coup on peut parfois être frustré quand on essaie de tout faire pour éviter un évènement, et que celui-ci se produit quand même parce que le jeu l’a décidé. Un autre défaut du jeu consiste en sa fin, qui va bien trop vite. Si le jeu prend son temps dans toutes les autres séquences, la dernière heure de jeu va directement à l’essentiel, ce qui nous empêche de pleinement l’apprécier.

De plus, les divers choix que l’on doit faire et qui déterminent la fin de l’aventure sont assez mal amenés dans le sens où ils nous tombent dessus sans que l’on ait vraiment le temps de considérer leur gravité. Dans un autre registre, certains problèmes de caméra, certes peu nombreux, brisent parfois l’immersion. Certains diront que c’est un détail, mais dans un jeu qui se veut immersif et cinématographique, cela peut être gênant. Enfin, certains personnages et certaines séquences peuvent paraître relativement clichés (on pense notamment à une scène où Jodie est hébergée par des Navajos, gentils Amérindiens proches de la nature, qui vivent de leur ranch sur leurs terres sacrées…)

Beyond Two Souls : Navajos

Une expérience, voilà le terme qui qualifie le mieux Beyond : Two Souls. Loin d’être parfait, ce thriller psychologique fonctionne malgré tout assez bien pour que l’on en sorte chamboulé, et que l’on continue à y penser longtemps après l’avoir fini. Ce qui est ici remarquable, c’est que l’on sent que, fort de son expérience, David Cage a utilité tous les moyens à sa disposition sur ce support qu’est le jeu vidéo pour sublimer son œuvre. Attention cependant à ne pas se méprendre : on n’a pas ici affaire à un jeu vidéo de qualité, le titre étant très pauvre au niveau du gameplay, mais bien à un hybride de film de qualité. C’est quelque chose dont il faut être bien conscient avant de se lancer, au risque de passer complètement à côté de ce qui fait l’essence de Beyond : Two Souls.