Actualité : la blogosphère protégée par la liberté de presse (CdC, Arrêt “Fansolo”)

A chaque innovation technique, les normes sociales et juridiques doivent s’adapter, qu’on parle de la révolution industrielle, du développement des OGM, du clonage ou des nouveaux médias. C’est tout l’intérêt d’un cadre juridique général et ouvert à l’interprétation, tel que les normes constitutionnelles : l’interprétation au fil des siècles d’un même concept, par exemple “la liberté de presse”, permet d’étendre cette grande liberté à de nouvelles technologies de communication… comme la blogosphère.Le 6 octobre 2011, la Cour de Cassation a étendu la liberté de la presse aux blogueurs, dans l’affaire “Fansolo”. Précisions sur cet événement juridique.Tout commence pendant les élections municipales de mars 2008 : un blogueur, Antoine Bardet a.k.a. “Fansolo”, publie des articles parodiques du maire sortant d’Orléans, Serge Grouard.

Celui-ci assigne A. Bardet en référé au civil pour s’opposer à ces propos, en invoquant non pas la loi du 29 juillet 1881 sur l’abus de la liberté d’expression (art. 32-33) mais l’article 1382, plus général, du Code Civil : “Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.”

Par ce biais, A. Bardet a été condamné le 8 octobre 2008 par le tribunal de grande instance d’Orléans à fermer son blog, verser un euro symbolique à S. Grouard et à payer 11000€.

A. Bardet a cependant décidé de faire appel, s’opposant au jugement de la Cour. La Cour d’Appel confirme elle aussi le jugement le 22 mars 2010, en vertu du même article du Code Civil.

Antoine Bardet ne s’arrête pas là et décide de saisir la Cour de Cassation, dont le rôle est de statuer sur l’interprétation et l’application du droit et non sur les faits, contrairement au Tribunal de Grande Instance et à la Cour d’Appel.

La Cour de Cassation a ainsi pris une décision fort différente de celle des deux cours précédentes, en invoquant l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de presse, jugeant que les propos d’Antoine Bardet n’étaient pas diffamatoires ni insultants — donc ne pouvant être condamnés par la loi limitant les abus de la liberté de la presse. Ainsi, le blog relève “d’une présentation générale le tournant en ridicule à travers le prisme caricatural d’une vision orientée et partiale de sa politique locale ou de sa personnalité sans imputer spécialement au maire, ou au candidat, de faits précis de nature à porter, par eux-mêmes, atteinte à son honneur ou à sa considération” d’après la Cour.

En matière juridique, les choses ne s’arrêtent pas là : la Cour de Cassation ayant invoqué la loi sur la liberté de presse et non la loi sur la liberté d’expression, cela signifie nécessairement qu’elle considère la blogosphère comme appartenant à la presse. Pour ce simple choix d’article, l’arrêt “Fansolo” fait désormais office de jurisprudence : la liberté de presse est désormais étendue à la blogosphère, et les prochaines décisions juridiques au sujet de blogs seront sans doutes amenées à faire appel à cet arrêt.

Pareille nouvelle est d’importance pour les amateurs de blogs un peu provocateurs, qui peuvent se savoir dorénavant protégés par la liberté de presse. Attention cependant : la liberté de presse n’est pas infinie, comme l’explique la loi de 1881 : “Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible …] Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure”.

Merci à Flora Roy, auteure de notre source principale pour la rédaction de cet article.